Voilà entre nos mains le dernier bébé de 11-bit Studios. Studio singulier puisque spécialisé dans les jeux sombres et déprimants, probablement leur côté Polonais qui veut ça. This War of Mine, en 2014, nous demandait de gérer une famille de survivants pendant la guerre, et il fallait déjà choisir entre égorger le voisin qui cherche des médicaments pour sa fille ou voir son personnage mourir de la gangrène. Puis est arrivé Frostpunk en 2018, qui nous demande de gouverner une troupe de survivants pendant l'apocalypse du gel, et là on explore jusqu'à quel point on pousse le fanatisme religieux ou l'autoritarisme pour réussir à survivre, ou encore si on enverrait pas les enfants à la mine pour réussir à exploiter suffisamment de ressources nécessaires à la survie de la ville. Après un long développement, voilà enfin la première suite du studio, Frostpunk 2. Et pour tous les fans de city-building, voilà un met de choix à se mettre sous la dent.
Rappelons quand même ce qu'est Frostpunk : notre communauté est coincée autour d'une énorme chaudière à charbon, et doit s'organiser pour survivre à des températures de plus en plus froides, de -20°C à -150°C. Il faut donc construire des abris, des camps de chasse, et surtout des mines à charbon pour pouvoir affronter le froid. Il s'agit ensuite de lutter contre la maladie, explorer les alentours à la recherche de ressources et de survivants, et puis enfin de faire des choix politiques : comment régler la famine ? Faut-il couper les soupes à la sciure de bois, ce qui augmente le taux de malades, ou bien faire des portions plus légères mais alors les citoyens seront en colère ? Sachant que s'ils sont trop en colère, c'est l'exécution et la fin de partie qui nous attend. Il faut donc contrebalancer en offrant de l'espoir, qui consiste, en moyen le plus facile, de se tourner vers la religion ou la loi martiale, et alors s'enfoncer dans des exactions de plus en plus violentes. Tout cet équilibre moral/économique est ce qui fait le sel de Frostpunk, d'autant plus relevé si on se prête au jeu de se montrer le plus humain (même si être un salaud est bien plaisant aussi).
Frostpunk avait, en 2018, une grande qualité et un gros défaut. La qualité, c'est qu'il était impossible d'être vraiment à l'équilibre sur la fin de sa campagne principale, ce qui amenait une tension sur la résolution lors de la tempête finale, sur si notre gestion a bien porté ses fruits. “Croisons les doigts; comptons les morts”. Le grand défaut, c'est qu'il était trop avec le fessier entre deux fauteuils : d'un côté le jeu perdait beaucoup de son attachement et de son impact aux drames du quotidien comparé à This War of Mine, et de l'autre c'était un jeu de gestion un peu juste, avec peu de ressources à gérer, ce qui était plutôt répétitif dans la progression et surtout d'une campagne à l'autre. Surtout que les autres campagnes étaient bien moins passionnantes à parcourir sur le plan narratif.
Frostpunk 2 vient corriger cela, en assumant d'être un véritable city-builder. Désormais, on ne gère plus des groupes de 500 personnes, mais de 10 000. On ne construit plus une maison par une maison : on construit des quartiers de 6 résidences. On passe à une échelle bien plus large, qui vient justifier le changement de la ressource-clef du jeu : du charbon, on recherche désormais le pétrole. C’est bien l’or noir qui est au centre de la direction artistique et ludique du jeu. La grande problématique n’étant pas d’en trouver, mais d’en extraire suffisamment pour assouvir notre expansion.
Car le froid n’est plus l’ennemi qu’il était dans le premier jeu. Bien évidemment que se chauffer reste une priorité, mais 30 ans ont passé depuis les évènements de Frostpunk premier du nom où le Capitaine a tant bien que mal imposé sa loi pour faire survivre la cité. Désormais, le Capitaine est mort, et c’est nous en tant que Gouverneur qui prenons sa suite, sans ses pleins pouvoirs. 30 ans de dictature ont laissé une soif de liberté et de démocratie, et il va alors falloir composer avec les différentes factions du jeu et leurs idéologies, afin de maintenir un niveau de calme suffisamment bas et éviter les émeutes. De même, il va falloir compter sur eux pour faire adopter lois et réformes. Vous voulez autoriser l’alcool ? Vote. Vous voulez mécaniser les explorations ? Vote. Vous voulez imposer la maternité aux mères pour s’occuper des enfants ? Vote. Et si au début on ne se rend pas bien compte de l’impact des factions du jeu sur ce système, c’est quand il faudra calmer les manifestations et faire passer des lois radicales que l’on se retrouvera à leur faire des pieds et des mains afin de les apaiser. On peut leur promettre de construire ou de voter certaines lois, on peut leur confier le prochain vote, on peut les soudoyer… Et on peut négocier avec eux en pleine session pour influencer leur vote en échange d’une action prochaine. Ces tractations plus ou moins régulières s’avèrent nécessaires pour réussir à construire la ville la plus équilibrée possible, car Frostpunk 2 n’a pas émoussé ses dents en 6 ans, loin de là.
Comme dit plus haut, les problèmes dans Frostpunk ne sont plus de trouver les ressources, mais de réussir à en produire suffisamment pour tous. Il y a désormais 6 ressources, avec pour commencer les Thermotickets, qui sont de l’argent obtenu auprès de nos citoyens si leurs besoins sont satisfaits. Les préfabriqués servent à construire et réparer les bâtiments. Le charbon et le pétrole, quant à eux, servent bien sûr à chauffer tout le monde. La nourriture permet d’éviter aux habitants de mourir de faim. Les matériaux servent à la construction et au fonctionnement de nos bâtiments. Enfin, les marchandises qui servent de biens de consommations et donc assouvissent les besoins de nos citoyens, en échange de tickets. Toutes ces ressources se trouvent directement sur la carte, et il faudra de la main-d’œuvre pour réussir à exploiter tout ça en quantité suffisante. Mais cette main-d'œuvre, il faudra aussi la loger, et construire des districts qui eux-mêmes consomment de la main d'œuvre, et tout ça prend de la place. Comment s’en sortir ? Avec des bâtiments spéciaux, quelle évidence !
Désormais, les quartiers peuvent accueillir des bâtiments spéciaux, comme le Quartier de Recherche dans les districts résidentiels. Il est alors possible de booster sa production de ressource, comme la Serre qui permet de produire bien plus de nourriture, et de manière autonome. Car oui, les puits de ressources se tarissent, et il devient vite plus intéressant de construire des quartiers à ressources pérennes que d’épuiser le sol. Ces bâtiments sont très puissants, mais nécessitent plusieurs semaines de recherches, et ont généralement de gros malus sur l’état de la ville.
Car si le froid, la faim et la maladie sont des fléaux bien connus pour les joueurs du premier, il faut désormais en ajouter deux à la liste : l’insalubrité et la criminalité. Ainsi, certaines usines font exploser le taux de malades ou de saletés des bâtiments. De même, les grandes concentrations de population font monter la criminalité au sein de nos concitoyens. Prendre le risque que ces fléaux augmentent ? La montée des tensions, et la perte de confiance qui s’ensuit, et donc l’arrivée du Game Over qui se rapproche. Une ville qui connaît peu de problème va amener beaucoup de confiance, ce qui apaise les groupes politiques et permet de faire passer des ordres un peu durs, comme les heures supplémentaires dans les usines. Excellent moyen de produire plus sans avoir des travailleurs à fournir. Mais si la tension monte, la ferveur des groupes va attiser les flammes de la révolution, et la confiance va se perdre, avec les bénéfices qui s’accompagnent. On ne gère plus l’espoir et la peur comme avant : on gère la colère et la ferveur. Et pour alimenter suffisamment notre ville dans ce gouffre à besoin, il convient d’explorer les alentours pour y trouver des ressources. Oui, l’exploration est toujours présente, avec sa carte et ses régions à explorer. On y choisit où envoyer nos éclaireurs, et une fois la région explorée, les points d’opportunités apparaissent. Parfois on peut y chiper des ressources, parfois amener des gens à la ville, ou encore exploiter un avant-poste qui, après l’avoir relié à la cité, permet d’exploiter en continu la ressource en échange d’y mettre un groupe d’explorateurs à plein temps. À certains moments, il est même possible de débloquer des minis-villes à faire bâtir, sur des cartes beaucoup plus petites et efficaces. Entre la Ville et ces bourgs, on peut échanger main-d’œuvre et ressources en flux tendu, pour avoir l’ensemble à l’équilibre. Heureusement, ces petites zones ne demandent que rarement beaucoup d’attention: on n'est pas dans un SimCity 2013 où il faut garder les yeux sur 4 ou 5 villes séparées en même temps et les développer en parallèle, et tout est centré autour de la Ville et du Générateur… Et des groupes qui siègent au Conseil.
L’un des aspects forts de Frostpunk se tenait dans ses propositions artistiques fortes : l’Hiver Intense, le Froid Éternel, le Générateur Divin, la Chaleur Salvatrice. Suivre ce groupe de personnes qui ne cherchent qu’à survivre et se retrouvent à devoir prendre les plus cruelles décisions et sombrer dans le fanatisme ou le fascisme était le thème clef du jeu que proposait 11-Bit Studios à l’époque. “The City must Survive”. Frostpunk 2 est une bonne suite : elle reprend ce que faisait le premier jeu et l’étoffe, le développe, le fait évoluer. Le monde de Frostpunk évolue alors, et le pétrole remplace le charbon. La jauge de tension est une fiole d’essence qui s’agite et rougeoie, les crises font couler de la sueur d’or noir sur les bords de l’écran, et les évènements narratifs illustre dans des bulles aux effets de flaques de pétrole; de même que les fléaux qui suintent des volutes pour illustrer leur présence… Il alimente véritablement l’univers graphique de Frostpunk 2. Le froid blanc et le pétrole noir. La ville a pu exister, il faut désormais la protéger des menaces qui se présagent. "The City must not Fall".
Il est bien dommage que Frostpunk 2 soit entaché par quelques décisions malencontreuses au niveau de l’Interface Utilisateur. Déjà, mentionnons ses icônes de constructions bien planquées en bas à droite, peu visibles, tant et si bien qu’on préfère vite utiliser les raccourcis pour ne pas se prendre la tête. Ensuite ses panneaux descriptifs de quartiers qui sont fixes par rapport au quartier et non notre écran. ça signifie qu’il est compliqué de voir tout le panneau en entier si le quartier est un peu haut, mais surtout, si on bouge tout le panneau bouge, et donc les icônes cliquables aussi. Enfin, si le tuto est très léger, il est surtout incomplet : le jeu nous parle de construire des prisons pour réduire la criminalité, mais il ne nous dit pas que la Prison doit se rechercher à la suite de la recherche des tours de gardes. La production de marchandises pour nos concitoyens n’est jamais détaillée, aussi on tourne en rond sur comment la produire jusqu’à réaliser qu’il faut faire un quartier industriel non situé sur une ressource, puis choisir de produire des marchandises plutôt que des préfabriqués… Dans le panneau des Lois, on passe régulièrement du temps à cliquer par erreur sur les panneaux des factions et ensuite à quitter la fenêtre des lois par erreur car on veut juste revenir en arrière. Les notifications ne s'affichent pas quand on est pas dans la Ville. Quand on passe sur la vue régionale, la caméra ne se recentre pas vers le Nord et on ne dispose que de peu de points de repères... Heureusement ce n’est pas de gros problèmes de conception, mais ces soucis superficiels frustrent lors du jeu, et on ne peut que croiser les doigts pour qu’ils soient résolus le plus vite possible.
Frostpunk 2 est un jeu extraordinaire. Toujours à nous garder sur le fil, toujours à nous pousser dans la fuite vers l’avant… Sa campagne tient en haleine et les mécaniques sont enfin suffisamment solides pour profiter de son mode Utopie en sandbox. Les transitions entamées du 1 sont réussies, et viennent remettre les habitants au cœur des considérations. On reste toujours avec une certaine distance affective de nos citoyens, gestion macro oblige, mais le besoin de leur soutien, les mécaniques de tractation, la dépendance au vote viennent renforcer l’aspect social du jeu. Entre l’enrichissement de ses mécaniques, sa capacité éreintante à venir nous faire tout optimiser, et sa petite synthèse sociale sur les crises de confiance et de croyance, Frostpunk 2 est une excellente réussite, et un jeu digne de se hisser au rang des références du genre, à côté de SimCity et des jeux Sierra.
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