Le moins qu'on puisse dire, c'est que Death Stranding aura fait durer le suspense jusqu'au bout. Premier projet des créateurs de la saga Metal Gear Solid après être sortis du giron de Konami, Death Stranding s'est d'abord présenté au monde de la manière la plus cryptique possible, c.-à-d. au travers de bande-annonces cinématiques incompréhensibles. Celles-ci sont toutefois parvenues à largement attirer l'attention, tant pour le curriculum vitae des auteurs et leur contenu mystérieux que pour la finesse de leur réalisation et la présence d'un casting de haut vol pour un jeu vidéo. Difficile de passer inaperçu dans l'industrie, en tout cas, quand on peut se permettre de diriger des acteurs en vogue de la télévision et du cinéma tels Norman Reedus et Léa Seydoux. Plus intriguant encore, Guillermo Del Toro (réalisateur oscarisé de la Forme de l'eau, également connu pour les premiers films Hellboy et le Labyrinthe de Pan) donne aussi de sa personne dans le rôle d'un scientifique en costume, d'abord aperçu en train d'échapper à un Mads Mikkelsen aux commandes d'une troupe de soldats démoniaques (et en train de pleurer de la merde, pour citer un poète anonyme). Mais ce qui a peut-être le plus étonné les joueurs à l'arrivée, c'est que Death Stranding s'est avéré être un jeu de livraison en monde ouvert. Oui, vous avez bien lu: dans une Amérique dévastée par un phénomène surnaturel qui donne son nom au jeu (le death stranding, donc, ou échouage de la mort en bon français), le joueur incarne l'équivalent post-apocalyptique d'un livreur. Oh, bien sûr, il y aura bien quelques armes mises à votre disposition en cours de partie et quelques séquences d'action, mais le coeur du jeu réside pourtant bel et bien dans la livraison en milieu hostile. Alors que le transport d'un objet d'un lieu A à un lieu B dans les jeux vidéo est d'habitude surnommé "quête Fedex" de façon péjorative, Kojima Productions nous propose aujourd'hui un jeu intégralement basé là-dessus. Le pari est osé, mais la démarche du studio, désormais indépendant (auparavant, c'était une filiale de Konami), est loin d'être dénuée d'intérêt. Explications dans les lignes qui suivent.
Dans notre monde à nous, la livraison est parfois vue comme un métier ingrat, quand bien même celle-ci le fait tourner en pratique. Dans Death Stranding, c'est peut-être la livraison qui va sauver le monde. Sam "Porter" Bridges (auquel Norman Reedus prête ses traits), surnommé "Super Livreur" par ses contemporains, est retrouvé un peu par hasard par la société Bridges pour lui confier ni plus ni moins que la lourde tâche de reconstruire une Amérique en lambeaux. En effet, alors même que les scientifiques commençaient à comprendre les phénomènes qui surviennent lors de la mort, la mort elle-même a commencé à se planter, et pas qu'un peu. De gigantesques explosions, les néantisations, se sont produites subitement partout sur le globe, rayant de la carte des villes entières et mettant à genoux tous les gouvernements en fonction (le scénario ne précisant pas le sort de la Belgique, habituée à fonctionner sans). Et au grand dam des survivants, les auteurs présumés du désastre courent toujours: les échoués, qu'on pourrait présenter comme des morts ayant raté leur passage dans l'au-delà, continuent d'errer sur Terre et s'en prennent dès que possible aux vivants afin d'engendrer de nouvelles néantisations. Suite à ce death stranding (le nom donné à ce phénomène), les Etats-Unis d'Amérique n'existent plus et les survivants se terrent désormais dans des villes souterraines (les villes-relais) ou dans des refuges isolés, les communications entre les uns et les autres étant limitées voire inexistantes. Et afin de créer une nouvelle Amérique solidaire, plus à même de reconstruire la société, Bridges souhaite étendre progressivement un nouveau genre de réseau informatique - le réseau chiral - afin de connecter ensemble toutes les villes-relais et refuges d'Amérique et constituer les UCA (United Cities of America). Pour ce faire, Sam va devoir traverser tout le continent nord-américain de la côte est à la côte ouest et faire des livraisons à ces restes d'humanité dans l'espoir de les intégrer au réseau. Le choix de Sam pour mener la mission n'est par ailleurs pas anodin: outre son surnom de "Super Livreur", Sam est victime du syndrôme DOOMS. Autrement dit, il est capable de ressentir la présence des échoués et donc de plus facilement éviter ceux-ci. Peu intéressé par la mission elle-même, Sam finit par l'accepter: en rejoignant la côté ouest, il espère retrouver Amélie, nouvelle Présidente des UCA, à laquelle il tient beaucoup - le scénario étant initialement évasif sur leur relation.
C'est un peu compliqué à suivre ? C'est normal: le monde de Death Stranding est aussi original qu'il n'est fouillé. Aussi, attendez-vous à être un simple spectacteur en tout début de partie. De fait, les deux premières heures (et même un peu plus) consistent en une longue suite de cinématiques posant le cadre et expliquant les phénomènes étranges qui se produisent dans le monde suite au death stranding. Vous y découvrirez par exemple des pluies qui accélèrent le passage du temps (et peuvent donc s'avérer mortelles sans protection) ou encore des arc-en-ciels inversés, synonymes de la présence d'échoués dans la zone. Ce n'est qu'après cette longue introduction que le jeu vous confie votre première véritable commande, consistant à transporter un petit colis vers une autre base. Une première livraison qui sera ponctuée de didacticiels mais qui devra aussi se faire à la dure: quand bien même vous sortirez d'un centre de distribution high tech en passant devant une poignée de véhicules qui se seraient avérés bien pratiques, il faudra traverser à pied un terrain sauvage et accidenté et essuyer au passage quelques bonnes draches. Et si Sam est bien couvert par sa combinaison et ne subira donc pas les effets temporels des pluies, ce n'est pas le cas de ses caisses de marchandises qui s'oxyderont plus vite que d'habitude. Hors de question, donc, de s'éterniser sous la pluie, et hors de question aussi de chuter à cause d'un caillou mal placé ou d'une pente trop raide puisque les chutes de Sam endommageront vos marchandises. Pas question non plus d'essayer de traverser un cours d'eau un peu trop profond, sinon quoi Sam sera emporté par le courant et les marchandises avec. Rassurez-vous: vous ne partirez pas complètement démuni pour autant. Tout d'abord, Sam transporte avec lui un odradek, un bras robotique autonome qui peut scanner la topographie locale et indiquer les endroits trop escarpés ou les zones trop profondes d'une rivière proche. Connecté à un BB (pour Brise-Brouillard), un foetus presque complètement formé (vous aurez remarqué que Death Stranding aime les acronymes heureux), le même bras pourra aussi indiquer dans quelle direction et à quelle distance se trouve l'échoué le plus proche si vous avez le malheur de devoir traverser un territoire infesté d'échoués.
Et ce n'est pas tout: au début de chaque mission, vous aurez la possibilité de fabriquer des outils pour faciliter vos randonnées (majoritairement) pédestres. En particulier, en début de partie, vous pourrez fabriquer des ancres d'escalade et des échelles dépliables. Les premières faciliteront la descente de falaises ou de pentes trop raides (et leur remontée sur l'éventuel chemin de retour), tandis que les secondes vous permettront de grimper plus facilement les reliefs ainsi que de créer des ponts improvisés au-dessus de petits gouffres ou au-dessus des rivières. Là où les choses deviennent intéressantes, c'est que ces structures posées par vos soins pourront apparaître dans les parties d'autres joueurs et réciproquement. À la manière de Demon's Souls et ses successeurs, Death Stranding propose une forme de coopération à travers Internet qui se traduit d'une part par des panneaux à poser un peu partout (équivalents aux messages au sol des jeux de From Software) et d'autre part par l'apparition de structures posées ou construites par d'autres joueurs dans votre propre partie. Aussi bien les panneaux que les structures pourront recevoir des likes, qu'on peut grossièrement comparer à des points d'expérience: l'accumulation de likes permet entre autres, à terme, d'améliorer l'endurance de Sam ou le poids maximum qu'il peut transporter. Vous aurez alors de temps à autre quelques bonnes surprises, comme trouver une échelle déjà (bien) placée pour traverser un cours d'eau qui vous aurait autrement contraint à faire un détour. Bien entendu, les structures de Death Stranding ne se résument pas à quelques ancres d'escalades et des échelles: vous aurez tôt fait de débloquer les CCPs, des petites boîtes comparables aux capsules de Dragon Ball puisqu'elles permettent d'imprimer de nouvelles structures comme des boîtes de stockage (bien pratiques pour décharger temporairement quelques marchandises) ou des ponts. Du moins, vous ne pourrez créer que les fondations d'un pont dans un premier temps: il faudra amener quelques kilos de métaux pour compléter l'ouvrage et finaliser un joli pont, à la fois durable et facilitant considérablement la traversée des rivières et des ravins (y compris avec les véhicules, débloqués après quelques heures de jeu).
Evidemment, Death Stranding pose une condition quant à la création de nouvelles structures et l'apparition de celles d'autres joueurs. Les deux ne seront en effet possibles que dans les zones couvertes par le réseau chiral (exception faite des outils de base, comme les échelles), ce qui vous contraindra à devoir explorer les nouvelles zones par vos propres moyens dans un premier temps. Mais une fois le réseau à portée, vous pourrez jusqu'à établir l'équivalent d'un réseau routier. Outre les ponts, vous pourrez reconstruire des routes (qui simplifieront drastiquement les trajets avec un véhicule) et poser des tyroliennes (celles-ci arrivant plus tard dans le jeu) qui se connecteront automatiquement aux autres tyroliennes en vue et construites à quelques centaines de mètres. Une distance qui peut sembler courte mais qui sera suffisante pour grandement faciliter vos déplacements dans les milieux difficiles. En l'absence de réseau, vous pourrez aussi compter sur des équipements bien pratiques distillés au fur et à mesure de votre progression. Par exemple, au terme d'une livraison, l'un des premiers PNJs du jeu vous offrira un exo-squelette augmentant votre charge maximale et pouvant accélérer temporairement votre course. Mieux: continuer à effectuer des livraisons auprès du même PNJ débloquera des versions améliorées du même exo-squelette. Pour autant qu'on se prenne au jeu, la boucle de gameplay de Death Stranding est un authentique cercle vertueux: plus vous effectuerez de livraisons auprès des différents PNJs, plus ceux-ci mettront de ressources à disposition et meilleurs seront les équipements offerts, vous préparant toujours mieux à vos prochaines sorties dans les zones situées hors de portée du réseau. Et une fois celui-ci établi, la construction de structures adaptées facilitera vos prochaines livraisons avec d'autres PNJs, et ainsi de suite. Progressivement, Sam passe du statut de petit transporteur à peine mieux équipé que le coursier de l'Antiquité à celui de livreur UPS du futur, capable de transporter une demi-tonne de marchandises d'un bout à l'autre du pays grâce à une gestion efficace de vos routes, structures et véhicules. Alors que d'autres mondes ouverts proposent souvent des décors riches en ressources, où le danger n'est finalement que ponctuel (on pensera notamment à The Legend of Zelda: Breath of the Wild), Death Stranding plonge le joueur dans un monde aussi hostile que stérile tout en lui offrant des outils pour le reconstruire au moins en partie. L'air de rien, cette approche du jeu en monde ouvert est inédite (sinon plutôt rare), et l'ajout d'une forme de coopération avec les autres joueurs à travers Internet rend la progression beaucoup plus agréable mais aussi plus gratifiante, puisque vos propres efforts de (re)construction seront tôt ou tard récompensés par des avalanches de likes, aussi bien automatiques (c.-à-d. provenant des PNJs du jeu) que venant d'autres joueurs. Cerise sur le gâteau: les fonctionnalités en ligne de Death Stranding sont totalement gratuites. Pas besoin donc de s'inquiéter d'un quelconque abonnement au PlayStation Plus pour profiter pleinement de l'expérience.
« Alors que d'autres mondes ouverts proposent des décors riches en ressources où le danger n'est que ponctuel, Death Stranding plonge le joueur dans un monde aussi hostile que stérile tout en lui offrant des outils pour le reconstruire. »
La dernière réalisation en date de Kojima Productions a toutefois un grand défaut: Death Stranding est laborieux. Très. Bien sûr, certaines lourdeurs du jeu ne le sont vraiment qu'en apparence et sont justifiées par le game design. C'est notamment le cas du fast travel: s'il lui sera possible de se téléporter d'une ville-relais à une autre, Sam ne pourra pas emporter avec lui les marchandises ou les outils qu'il transportait jusque-là. Hors de question, donc, de s'amuser à se téléporter avec sa cargaison d'une ville-relais à une autre pour accomplir des livraisons de manière instantanée. Il faudra physiquement transporter la cargaison d'un point A à un point B et accomplir sa besogne de livreur jusqu'au bout. Dans une moindre mesure, si les pertes d'équilibre et les chutes à répétition occasionnées par des charges lourdes ou mal réparties pourront agacer les moins patients, on ne peut que saluer la multitude de facteurs pris en compte pour simuler l'impact de la cargaison ou de l'environnement sur la mobilité de Sam, ceux-ci encourageant le joueur à gérer habilement ses marchandises et à bien étudier les chemins possibles. Malheureusement, d'autres lourdeurs ne sont pas qu'apparentes. Celle qui a eu (et aura encore) le plus souvent raison de la patience des joueurs n'est autre que le rythme particulièrement lent de l'épopée de Sam. Si Death Stranding se renouvelle, notamment en introduisant progressivement de nouveaux équipements ainsi que des nouveaux types de terrain, il ne le fait que sur de longues périodes de jeu. Tandis que certains segments de la série Metal Gear Solid précédant The Phantom Pain renouvelaient le gameplay parfois presque trop vite, le dernier cru de Kojima Productions prend son temps, et d'autant plus si le joueur adhère à son concept de monde ouvert à reconstruire. Car si les structures facilitent grandement les transports, l'acquisition et le transport des ressources nécessaires à leur construction ou leur rénovation pourra prendre un temps considérable. On pourra bien sûr tomber par chance sur des containers de ressources abandonnés lors d'une livraison ou l'autre, mais une des méthodes les plus efficaces reste de renforcer vos liens avec les PNJs, ceux-ci vous offrant plus de ressources (ou d'équipement) à force de leur livrer des marchandises. En conséquence, le joueur méticuleux se surprendra parfois à multiplier les allers et les retours entre les mêmes installations, se contentant de filer en ligne droite sur les chemins qu'il a tracés. A contrario, les joueurs qui s'en tiendront à la progression du scénario devront composer avec une mobilité pénible, seront plus vite exposés au danger et auront sans doute presque autant de mal à se rendre à des bases déjà connues que lors de leur première visite. En quelque sorte, les joueurs qui prennent leur temps vont considérablement diminuer la pénibilité des livraisons, parfois au prix d'un temps de jeu clairement plus conséquent que chez ceux qui s'imposeront une marche forcée (au propre comme au figuré) pour connaître le fin mot de l'histoire.
Le manque d'interactions directes avec les PNJs pourra constituer une autre source de frustration. En dehors des cinématiques de l'intrigue principale et de quelques rares exceptions, les rencontres de Sam avec des personnages en chair et en os sont, pour le dire platement, inexistantes (le scénario justifiant le tout assez maladroitement). Dans la vaste majorité des cas, vous ne verrez les responsables des centres de distribution et des refuges qu'à travers des hologrammes (pardon, des chiralgrammes) toujours présentés avec le même angle de caméra. Leurs animations sont par ailleurs limitées, ce qui est presque paradoxal: en effet, les PNJs sont modélisés d'après de véritables acteurs et même d'après quelques invités de marque: on pourra notamment apercevoir l'animateur de télévision Américain Conan O'Brien ou encore le journaliste Américain Geoff Keighley, rendu tristement célèbre en dehors de son pays suite au Doritos-gate. Certains pourront alors se demander pourquoi Kojima Productions s'est donné la peine de proposer des cinématiques de qualité sur le plan technique, avec un casting et des caméos de luxe, alors qu'une vaste majorité des installations à visiter se contentent de décors génériques et froids et sont seulement habitées par des hologrammes aussi statiques que peu attachants. Plus généralement, le manque de participation directe de Sam à la résolution des problèmes de ses clients (à quelques exceptions près) dessert parfois la cause de Death Stranding: puisqu'on est là pour rebâtir l'Amérique, pourquoi ne pas enrichir les objectifs du joueur pour varier les plaisirs ? Entre autres, dans le premier tiers de l'aventure, celui-ci aura l'opportunité de visiter une ferme d'un nouveau genre qui tente de tirer parti des conditions climatiques si particulières de ce nouveau Nouveau Monde. Pourtant, les interactions entre le joueur et celle-ci se borneront à la livraison d'engrais et au transport de ses produits vers d'autres installations. L'ajout d'objectifs secondaires plus variés pour renforcer les liens des UCA avec cette ferme (par exemple, établir une ligne d'approvisionnement automatique avec d'autres installations) ou avec d'autres points d'intérêt aurait sans aucun doute diminué la répétitivité du gameplay. Death Stranding compense un tout petit peu celle-ci en ajoutant parfois des conditions supplémentaires aux livraisons, comme par exemple en confiant au joueur une marchandise devant être tenue à l'horizontale ou qui ne doit pas subir le moindre choc, ainsi qu'en proposant au joueur d'accomplir des livraisons secondaires à l'aide de robots autonomes. Malheureusement, ceux-ci ayant la fâcheuse tendance à endommager les marchandises en l'absence d'une infrastructure routière solide, les bénéfices pour le joueur seront parfois marginaux.
Vous l'aurez compris: Death Stranding est un jeu plutôt long (comptez environ 40 heures pour en voir le bout en minimisant les à-côtés) et au gameplay très carré, qui plus est avec une approche originale du monde ouvert, mais aussi un jeu qui peut se montrer tantôt très répétitif, tantôt carrément frustrant. Ceux qui redoutent l'ennui se demanderont alors (et à juste titre) si traverser cette Amérique aux airs d'Islande pendant plusieurs dizaines d'heures de jeu en vaut bien la peine. Que vous adhériez ou non au style de Kojima Productions, vous en aurez au moins pour votre argent: après avoir distillé les cinématiques au compte-gouttes pendant la majeure partie du jeu (exception faite du tout début), Death Stranding se conclut en effet par plusieurs longues heures de cinématiques, ponctuées de quelques combats de boss forcés (comprenez par là qu'ils sont assez bancals) et de petites séquences de gameplay. Au cours de ce goulot d'étranglement scénaristique, le jeu multiplie les explications didactiques, les coups de théâtre et les clins d'oeil appuyés aux précédentes oeuvres de Kojima Productions. Pour les inconditionnels du studio, ce grand final pourra constituer un véritable feu d'artifice, riche en symboles et en messages, qui peut compter en prime sur quelques performances convaincantes de la part des acteurs (et réalisateurs: outre Del Toro, Nicolas Winding Refn, réalisateur de Drive, donne aussi de sa personne) recrutés pour l'occasion. Pour les autres, le grand final de Death Stranding offrira aussi bien des fulgurances bien réelles que des séquences presque embarrassantes, le tout mêlé à des explications longuettes, des messages répétés avec insistance et des tentatives peu subtiles de briser le quatrième mur. Ce manque de subtilité culmine avec le personnage de Higgs, un des principaux antagonistes du jeu. Pourtant incarné par un acteur qui a largement fait ses preuves dans le jeu vidéo (à savoir Troy Baker, qui a notamment brillé dans le rôle de Joel dans The Last of Us), Higgs multiplie les clins d'oeil lourdingues au joueur et n'a guère que ses mimiques maniérées pour ne pas se faire oublier une fois son rôle dans l'histoire terminé, un peu comme si Kojima Productions avait maladroitement tenté de réincarner Ocelot (personnage culte de la saga Metal Gear Solid) dans un univers autre que le sien. Le résultat ne parlera donc qu'aux fans les plus ardents du studio, laissant les autres se gratter la tête face à ce méchant inséré au forceps. Heureusement, Death Stranding peut quoi qu'il arrive compter sur son univers aussi original que fouillé: avec son postulat de départ osé (un monde où la mort n'est plus tout à fait un mystère) et ses multiples références à la littérature (bien réelle) autour de la mort, Death Stranding offre un cadre fascinant qui s'étoffera d'autant plus que le joueur débloquera des entrées de journal, obtenues aussi bien en progressant dans l'aventure qu'en multipliant les (bonnes) livraisons pour la plupart des installations. De quoi motiver les joueurs pas tout à fait convaincus par le scénario à rester et à accomplir le voyage de Sam jusqu'au bout.
Puisqu'on parlait de méchant quelques lignes plus haut, sachez que Death Stranding offre aussi son quota de vilains en cours de partie. Il y a bien sûr les échoués, qui viendront ralentir vos expéditions, mais aussi les MULEs (quand je vous disais que Death Stranding aimait les acronymes heureux...): ces anciens livreurs devenus fous s'en prendront à Sam tantôt pour lui voler ses marchandises et les livrer à sa place, tantôt pour le tuer purement et simplement. Plusieurs gadgets et armes viendront à votre secours pour infiltrer les camps des MULEs (histoire de piquer le butin qu'ils ont accumulé) ou pour vous défendre en cas d'agression. Pas de quoi sauter au plafond pour autant: les phases d'action de Death Stranding sont très classiques et même un peu basiques, tout particulièrement au niveau du combat au corps-à-corps. Ces séquences sont toutefois plutôt rares en temps normal (à moins de vouloir piller à tout va), si on excepte bien sûr quelques missions consistant justement à visiter des camps de MULEs. Les échoués, quant à eux, viendront sporadiquement glacer l'atmosphère mais sans pour autant constituer une vraie menace. En effet, ceux-ci se comportent la plupart du temps comme de simples sentinelles et ne bougeront pas d'un pouce tant que vous gardez vos distances... qui sont bien assez courtes que pour les atteindre tranquillement avec des projectiles ou des grenades créées à partir du sang de Sam (celui-ci ayant des propriétés anti-échoués) et ainsi les dégager de votre chemin sans être inquiété. Finalement, c'est plutôt l'exposition prolongée à la pluie qui inquiétera le joueur lorsqu'il traversera un territoire échoué, celle-ci accélérant l'usure de l'équipement et des containers protégeant vos marchandises. Bien sûr, il existe plusieurs types d'échoués, mais comme les variantes ne se montrent que dans des circonstances bien précises, il ne faudra pas trop compter sur eux pour renouveler les séquences de jeu. Toujours au registre de la répétitivé et plus généralement des lourdeurs, on notera aussi que Death Stranding est saturé de notifications, de menus, de didacticiels (pour tout et rien, déboulant même encore vers la fin du jeu) ou encore de mini-cinématiques illustrant minutieusement les gestes de Sam, bien que celles-ci peuvent être passées. Le hic, c'est que dans certains cas, ces cinématiques sont elles-mêmes découpées en plusieurs parties qu'il faudra passer individuellement. Heureusement, des mises à jour réalisées depuis la sortie du jeu permettent de passer plus facilement certaines animations, voire de les annuler carrément.
Par ailleurs, ces animations démontrent une des autres grandes qualités de Death Stranding: son visuel soigné. Outre la modélisation impressionnante des acteurs et la qualité de leur animation (grâce à la magie de la motion capture), le nouveau jeu de Kojima Productions offre des paysages aussi désolés qu'ils ne sont inspirants. Bien qu'elle soit détruite et en apparence hostile, l'Amérique post-apocalyptique telle qu'imaginée par Kojima Productions ("imaginée" étant un grand mot: le studio s'est beaucoup inspiré de l'Islande) offre souvent des paysages grandioses qui bénéficient d'une distance d'affichage appréciable et de reliefs fort bien modélisés. Il faut dire aussi que Kojima Productions a bénéficié d'un petit coup de pouce de Guerrilla Games, qui prête ici son moteur Decima (déjà vu à l'oeuvre dans Killzone: Shadow Fall et Horizon Zero Dawn). Il faudra en revanche se contenter d'un taux de rafraîchissement de l'image fixé à 30 images/seconde, y compris sur PlayStation 4 Pro. Les apôtres du 60 images/seconde devront donc attendre la sortie du jeu sur PC (fixée à l'été 2020 au moment d'écrire ces lignes), bien que le taux de rafraîchissement sur PS4 est quasiment constant et ne subit de petites chutes que lorsque des échoués plus imposants viennent troubler le voyage de Sam. Du côté du son, la bande-son du jeu à proprement parler (c.-à-d. les musiques d'ambiance qu'on pourra entendre dans certaines séquences d'action) est assez succincte, mais le jeu offre à côté une bande originale dont les extraits viendront ponctuer les grandes étapes du voyage de Sam. En particulier, le groupe islandais Low Roar se taille la part du lion dans cette bande originale, au point que la popularité du groupe a explosé (voir cet article en anglais de VG247) dès la parution de la bande-annonce de l'E3 2016 et encore davantage après la sortie du jeu. À défaut d'avoir proposé un concept fédérateur (le jeu reste controversé sur l'agrégateur en ligne Metacritic), Death Stranding aura au moins eu le mérite d'offrir un emballage visuel et sonore de qualité.
Réaliser un jeu entièrement basé sur des quêtes Fedex: personne ne l'avait demandé, mais Kojima Productions l'a fait. Néanmoins, derrière ses airs de simulateur de service postal en monde post-apocalyptique, Death Stranding cache un astucieux mélange d'aventure et de gestion aux idées minutieusement exécutées. Ici, ce n'est pas le monde ouvert et ses ressources qui sont au service du joueur, mais l'inverse: pour être un livreur efficace, sinon pour diminuer grandement la difficulté des livraisons, il va falloir tracer de nouvelles routes, reconstruire les anciennes et bâtir des structures pour faciliter vos voyages ou pour entretenir vos outils et marchandises. L'ajout d'une composante multijoueurs à la formule (vos efforts de construction étant partagés avec les autres joueurs) la rend d'autant plus séduisante. Malheureusement, en l'état, celle-ci pourra perdre en route bien des joueurs. Plus que le manque de séquences d'action, c'est l'aspect laborieux du gameplay qui aura le plus souvent raison de leur patience. Comme Death Stranding se renouvelle lentement, son gameplay peut se montrer très vite répétitif, surtout si le joueur s'applique dans ses efforts de reconstruction et multiplie les allers et retours entre les installations pour accumuler les ressources nécessaires aux constructions. Le manque d'interactions directes avec les PNJs n'arrange rien à la variété des objectifs, en plus de rendre Death Stranding encore moins accueillant qu'il ne l'est à la base. Heureusement, le jeu de Kojima Productions peut toujours compter sur ses visuels majestueux (et parfois oniriques) et son univers fascinant pour motiver le joueur, à défaut de pouvoir changer les avis des uns et des autres sur le style de la maison en termes d'écriture. Comprenez par là que les inconditionnels y trouveront certainement leur compte, tandis que les moins fans resteront parfois perplexes face aux développements tortueux du scénario, ses dialogues didactiques et peu subtils, bien qu'il y ait quelques beaux moments à la clé malgré tout (avec ou sans l'aide des acteurs). Bref, il faut savoir à quoi s'attendre quand on se lance dans Death Stranding et accepter de rentrer dans son jeu, sans quoi l'aventure pourra se montrer très rapidement ennuyeuse voire carrément pénible. Quoi qu'il arrive, Death Stranding a le mérite d'amener des nouvelles idées tout à fait saines qui gagnent à être développées ou réutilisées par d'autres jeux.
Critique rédigée après environ 70 heures de jeu sur PlayStation 4 Pro.
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