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Et si on redécouvrait Deus Ex ?

Retour vers le futur

L'évènement jeu vidéo de la fin d'année 2020, c'était bien entendu la sortie de Cyberpunk 2077. Attendu de longue date et repoussé à plusieurs reprises, le projet pharaonique de CD Projekt Red est néanmoins sorti dans la douleur: entre des versions PS4 et Xbox One catastrophiques, qui ont même poussé CD Projekt Red à lancer un programme de remboursement, mais aussi des problèmes de fond bien réels comme un aspect RPG moins poussé qu'espéré (poussant même CD Projekt Red à présenter le jeu comme de l'action/aventure sur Twitter), Cyberpunk 2077 a largement déçu. Au moment d'écrire ces lignes, la page Metacritic de la version PC affiche un score de 85% pour la presse côte-à-côte avec un user score de 7.1/10, soit des scores plutôt bons mais décevants pour un jeu qui était pratiquement attendu comme le messie du RPG à l'occidentale. Sur Youtube, de nombreux tests et compte-rendus déplorent le manque de finition évident du jeu et ses limitations en tant que RPG, la palme revenant à un douloureux montage de 40 minutes de CrowbCat, un youtuber bien connu pour ses montages dépourvus de commentaires et parlant souvent d'eux-mêmes.

Néanmoins, malgré tous ses problèmes, Cyberpunk 2077 a au moins un mérite: celui d'avoir remis en lumière plusieurs jeux auxquels il a été comparé à sa sortie. En plus des rapprochements avec d'autres RPGs comme son prédécesseur spirituel The Witcher 3: Wild Hunt, la dernière production de CD Projekt Red a aussi été comparée avec les immersive sims, ces jeux - le plus souvent joués à la première personne - qui font des choix du joueur un pilier de leur game design. À défaut d'être populaire (nous y reviendrons), le genre est arrivé progressivement sur le devant de la scène à partir du début des années 2010. Tout joueur qui se respecte a forcément déjà entendu parler de l'excellent Dishonored d'Arkane Studios (sorti en octobre 2012), où l'on contrôle un assassin pouvant remplir ses contrats aussi bien en semant la mort qu'en neutralisant ses cibles en les précipitant vers des destins ironiques. Et c'est sans oublier ses suites, Dishonored 2 (2016) et Dishonored: La mort de l'Outsider (2017), mais aussi Prey (2017), un autre jeu d'Arkane Studios qui délaisse le contexte de révolution industrielle des Dishonored pour une station spatiale en orbite autour de la Lune où des extraterrestres sèment la pagaille. Mais il serait injuste de discuter de ce genre bien particulier sans évoquer la série Deus Ex: non seulement le premier épisode (sorti en 2000) est considéré comme le père spirituel des immersive sims grâce à son savant mélange de FPS et de RPG, mais la résurrection inespérée de la licence avec Human Revolution en 2011 a aussi perpétué son héritage. Qui plus est, la comparaison avec Cyberpunk 2077 est d'autant plus évidente que Deus Ex est également de la mouvance cyberpunk. Néanmoins, si la superproduction de CD Projekt Red a été un succès commercial dès sa sortie, le succès de Deus Ex: Human Revolution (en 2011 sur PC, PS3 et Xbox 360) et de Deus Ex: Mankind Divided (en 2016 sur PC, PS4 et Xbox One) est avant tout un succès d'estime (avec quelques "mais"), qui leur a valu d'être comparé parfois favorablement avec Cyberpunk 2077. Et s'il était temps de redécouvrir ces deux titres d'Eidos Montreal ? Si le futur de la saga est encore très incertain, le lancement douloureux de Cyberpunk 2077 a au moins suscité un léger regain d'intérêt pour celle-ci, comme en témoigne cet article de PC Gamer (en anglais). Et si vous faisiez, vous aussi, un saut dans le futur ?

Cyberpunk 2027

MiniatureLes évènements de Human Revolution se déroulent en l'an 2027, soit 25 ans avant ceux du Deus Ex original. Dans ce futur dystopique anticipé par Eidos Montréal dès 2011, les technologies d'augmentation mécaniques ont le vent en poupe: plus qu'un moyen de rendre l'usage d'un ou plusieurs membres aux accidentés de la vie (des technologies qui arrivent progressivement dans notre monde à nous), les augmentations sont aussi posées sur des soldats ou des ouvriers en bonne santé afin de doper leurs capacités, surpassant dès lors celles de leurs camarades de chair et d'os. Au point où ces augmentés suscitent la jalousie et la méfiance d'une proportion croissante de la population organique. Aussi, dès l'introduction du jeu, on pourra apercevoir un journal télévisé évoquant une manifestation d'envergure contre les technologies d'augmentation en plein Washington DC. Pour sa part, Adam Jensen - le personnage que l'on incarne - se méfie de leurs applications militaires, ce qui ne l'empêche pas pour autant de diriger la sécurité de Sarif Industries, un fleuron de l'industrie des prothèses cybernétiques basé à Detroit, après une courte carrière dans la police (les amateurs apprécieront le clin d'oeil au Robocop de Verhoeven). C'est également là-bas que travaille son ex-compagne Megan Reed, une brillante chercheuse qui vient de faire une découverte capitale pour rendre les augmentations sans danger et les démocratiser. Mais la belle n'aura guère le temps d'exposer sa découverte au monde: juste avant qu'Adam ne l'escorte à une conférence scientifique, des mercenaires attaquent les laboratoires de Sarif Industries. Pire: ceux-ci sont commandés par une escouade d'augmentés qui vont passer le malheureux Adam à tabac avant de s'en prendre (en apparence) à Megan. Mais Adam a de la chance dans son malheur: son employeur parvient à le sauver d'une mort certaine grâce aux technologies d'augmentation, et Adam se réveille bientôt en tant qu'augmenté. Et pas qu'un peu: bras et jambes, yeux, et même le coeur et les poumons, tout a été transcendé selon les codes du transhumanisme, l'un des grands thèmes de la saga Deus Ex. Mais comme vous le savez sans doute déjà de part sa célèbre citation "I never asked for this" ("je n'ai jamais demandé ça"), extraite d'un dialogue annexe et rapidement devenue un mème Internet, Adam n'est pas particulièrement enchanté par ce nouveau corps qui fait de lui une véritable machine de guerre. Et ce, même si son employeur lui impose un congé maladie de six mois pour s'y habituer et désactive dans un premier temps les bénéfices de ses augmentations. Mais cette métamorphose va être un atout pour la suite: un nouvel incident dans une usine de Sarif Industries va conduire Adam à se lancer dans une longue et périlleuse enquête à travers le monde pour découvrir la vérité derrière les deux incidents ainsi que le sort de Megan.

MiniatureUne des grandes forces de Human Revolution et de sa suite Mankind Divided (qui se déroule deux ans plus tard) réside dans leur vision nuancée du futur, souvent séduisante au premier abord, mais rarement optimiste quand on gratte la surface. Si les deux jeux vous invitent à profiter des joies des augmentations une fois aux commandes d'Adam, ils ne présentent jamais vraiment celles-ci comme une évolution tout à fait souhaitable et en montrent aussi les mauvais côtés potentiels. Car si des spots publicitaires pour Sarif Industries mettent en évidence des amputés qui recouvrent leurs capacités d'antan grâce à des augmentations (on y aperçoit par exemple un amputé des mains se remettre à jouer du piano), divers évènements au cours du jeu (quêtes annexes comprises) montreront qu'elles ne sont pas sans conséquences. Human Revolution et Mankind Divided anticipent notamment les risques potentiels pour la santé engendrés par la pose d'une augmentation mécanique, ceux-ci ne pouvant être contrecarrés que par un médicament générique: la neuropozyne. Dans le 2027 de Deus Ex, les augmentations s'insèrent directement dans leurs hôtes de chair et d'os et remplacent parfois complètement leurs membres originels. De ce fait, celles-ci peuvent être rejetées à terme par leur système immunitaire, les conséquences allant de simples démangeaisons à une douleur insupportable, sauf si l'hôte utilise de temps en temps de la neuropozyne pour s'accorder un sursis. Mais les Deus Ex d'Eidos Montréal ne s'arrêtent pas à une réflexion sur le transhumanisme: à travers leurs quêtes secondaires, leurs décors, les conversations des PNJs ainsi que de nombreuses sources écrites, audio ou vidéo (liseuses, e-mails, bulletins radio ou télévisés), ils anticipent aussi des évolutions possibles pour notre monde relevant de la politique, de l'économie et même de l'environnement. Entre autres réjouissances, les multinationales sont devenues si puissantes en 2027 qu'elles rendent les états caducs (ce qui n'est pas si éloigné de notre réalité, le Danemark ayant même déjà pris ses dispositions) et mènent la marche du monde. Quant à l'information, elle est monopolisée à l'échelle mondiale par un conglomérat répondant au nom de Picus, qui n'hésite pas à présenter les évènements sous l'angle de son choix pour manipuler l'opinion publique. Une évolution qui fait aujourd'hui écho à la notion de post-vérité, conceptualisée au début des années 2000 mais popularisée au cours des années 2010. Autre prédiction crédible de Human Revolution, plus amusante cette fois: l'accès de Justin Trudeau au poste de premier ministre du Canada (ce qui n'a pas échappé à la presse canadienne; en anglais), alors qu'un tel scénario paraissait improbable en 2011. Bien sûr, l'univers de Deus Ex reste un univers de fiction, et même quand ses prédictions concordent avec des tendances du monde réel, celles-ci sont encore suffisamment dramatisées que pour provoquer la réflexion. Et même si certaines paraissent aujourd'hui irréalistes (ce n'est pas encore tout de suite qu'une deuxième ville sera construite par dessus Hong Kong), d'autres sembleraient presque constituer la prochaine étape pour notre monde à nous.

« Une des grandes forces de Human Revolution et de sa suite Mankind Divided réside dans leur vision nuancée du futur, souvent séduisante au premier abord, mais rarement optimiste quand on gratte la surface. »


MiniatureHuman Revolution a donc très bien veilli en matière d'univers, tandis que la direction artistique à la fois sobre et fouillée fait oublier assez facilement le coup de vieux technique du jeu, qui n'était déjà pas tout à fait à la pointe en 2011. Du coup, qu'en est-il du gameplay ? Eh bien, là encore, le premier Deus Ex d'Eidos Montréal est plutôt bien conservé puisqu'il contient à peu près tous les ingrédients que l'on attendrait d'un bon immersive sim moderne: des environnements détaillés (dont deux décors urbains qui pourront être visités librement entre la plupart des missions), des dialogues à choix multiples qui peuvent changer l'issue d'une quête, des arbres de compétences qui influeront sur votre manière d'évoluer au sein des niveaux et un level design qui prévoit toujours plusieurs façons d'atteindre un objectif. Et c'est sans oublier une bonne dizaine de quêtes annexes scénarisées qui vous donneront l'occasion d'en apprendre un peu plus sur les non-dits du scénario et plus généralement sur l'univers de Deus Ex, le tout en octroyant des points d'expérience supplémentaires pour activer plus d'augmentations. Qui plus est, un peu plus d'un an avant la sortie du premier Dishonored, Human Revolution offrait déjà le choix entre traverser les niveaux en faisant le grand ménage et s'infiltrer tout en finesse, voire sans tuer personne. Ou presque: le jeu impose encore quelques combats de boss (impliquant notamment l'escouade d'augmentés rencontrée dans le prologue) où le joueur n'a d'autre choix que de tuer son adversaire. Ceux-ci sont heureusement suffisamment courts que pour ne pas polluer les quelques dizaines d'heures que vous pourrez consacrer aux premières pérégrinations d'Adam Jensen: comptez environ une grosse vingtaine d'heures pour connaître le fin mot de l'histoire en fonçant, et même jusqu'à 40 heures si vous complétez un maximum de quêtes secondaires et jouez d'entrée de jeu à la version Director's Cut. En effet, cette version augmentée - sans mauvais jeu de mots - incorpore le DLC Le chaînon manquant dans le dernier quart de l'aventure, et ce pour éclairer quelques zones d'ombre qui auront leur importance pour comprendre les évènements de la fin. Inutile de préciser que vous en aurez largement pour votre argent au vu du prix actuel du jeu, souvent réduit à une bouchée de pain lors des promotions de Steam.

MiniatureNéanmoins, comme tout amateur de cuisine le sait, avoir des ingrédients de qualité est une chose, transformer l'ensemble en un plat réussi en est une autre. S'il suit à peu près tous les codes d'un bon immersive sim moderne, Deus Ex: Human Revolution en illustre aussi les travers classiques. L'équilibrage en est un: en effet, activer certaines augmentations en priorité pourra vous simplifier la vie un peu trop tôt dans l'aventure. Par exemple, on peut devenir capable de pirater n'importe quel terminal de sécurité de manière furtive après seulement quelques heures, tant et si bien que des lieux présentés dans le jeu comme hautement sécurisés en deviennent de véritables passoires. La prévisibilité du level design constitue un autre écueil classique: soucieux de permettre à tout joueur de rentabiliser ses choix d'augmentations, les décors de Human Revolution offrent parfois des chemins alternatifs un peu trop artificiels. Si vous avez par exemple activé l'augmentation qui permet de soulever des objets lourds, comme des caisses de marchandises ou des distributeurs de boissons, vous découvrirez régulièrement des conduits d'aération un peu trop pratiques pour contourner les gardes et les systèmes de sécurité ou pour infiltrer des bureaux bien protégés sans passer par le piratage. Les joueurs pointilleux critiqueront sans doute aussi l'intelligence artificielle des PNJs, qui tient plutôt bien la route en règle générale mais peut s'avérer facile à berner. Si ces défauts ne gâchent pas vraiment le plaisir de jeu en début de partie, ils ont tendance à rendre les ficelles du level design un peu trop grossières sur les dernières heures de jeu, qui en deviendront presque poussives. Heureusement, cet essoufflement progressif est en bonne partie compensé par le développement du scénario et des thèmes du jeu. Les développeurs d'Eidos Montréal étant sans doute bien conscients du problème, vous devrez commencer le DLC Le chaînon manquant avec toutes les augmentations désactivées et en ne pouvant en réactiver qu'une poignée avant de vous remettre en route. Cette petite astuce permet de transformer les choix des augmentations à activer en véritables dilemmes l'espace de quelques heures, une idée qui sera d'ailleurs reprise pour les DLCs de Mankind Divided et qui démontre, s'il le fallait encore, que ce Deus Ex: Human Revolution a de solides fondations. Bref, malgré ses quelques problèmes sur le long terme, Human Revolution a encore belle allure pour un jeu sorti il y a bientôt 10 ans de cela, et ce grâce à la richesse de son univers, sa direction artistique impeccable et les bases toujours aussi solides de son gameplay.

Futur composé

Bien évidemment, si vous prenez la peine de jouer aujourd'hui à Human Revolution, vous aurez forcément envie d'embrayer avec Mankind Divided, sa suite directe sortie en août 2016 sur PC, PlayStation 4 et Xbox One. Et là, je me dois d'aborder d'emblée le sujet qui fâche et dont vous avez probablement déjà eu des échos (entre autres via Metacritic): oui, Mankind Divided est un jeu fragmenté ayant entre autres souffert de mauvaises décisions de la part de Square Enix, son éditeur, et dont la conclusion laisse bien trop de portes ouvertes pour être satisfaisante. Entre autres décisions douteuses, le jeu inclut des microtransactions (notamment pour activer plus rapidement les augmentations), qui auraient été incluses à la demande de Square Enix en dernière minute (selon un développeur anonyme relayé par le journaliste Anglais Jim Sterling; cf. cet article en anglais). Difficile aussi de passer sous silence le premier DLC - ironiquement baptisé "Mesures désespérées" - qui se résume à une petite heure de jeu dans un niveau supplémentaire: comment ne pas y voir une mission secondaire du jeu de base coupée au montage final pour être offerte en bonus de pré-commande ou vendue séparément ? Le second DLC, intitulé Piratage (mais plus souvent mentionné par son titre anglais, System Rift), s'avère déjà plus consistant, mais c'est bien le troisième et dernier contenu, baptisé Passé criminel, qui est le seul à pouvoir prétendre à la comparaison avec le Chaînon manquant de Deus Ex: Human Revolution. Bref, on aura connu des jeux livrés plus complets et plus "consumer-friendly" que Deus Ex: Mankind Divided. Quant au pourquoi de la conclusion en demi-teinte, il faudra s'en remettre à un long entretien avec la voix originale d'Adam Jensen, Elias Toufexis, accordé au site web VG24/7 en 2019 (à lire en anglais ici, et de préférence après avoir terminé le jeu). Si le comédien reste évasif sur les raisons précises par soucis de confidentialité, il évoque toutefois une réécriture complète du scénario en cours de développement qui l'aurait rendu nettement plus conséquent qu'au départ, tant et si bien que Mankind Divided n'en serait que le premier acte.

Toujours d'après Elias Toufexis, la conclusion de Mankind Divided ne prendra tout son sens qu'avec l'arrivée d'un troisième épisode... qui est malheureusement encore au stade de l'hypothèse. Bien accueilli par la critique malgré tout, Mankind Divided a déçu Square Enix en termes de ventes. Ce manque de succès n'est pas tout à fait surprenant: malgré un effet nouveauté (puisqu'il s'agissait d'un revival d'une vieille licence) et son succès critique, Human Revolution ne s'était écoulé qu'à un peu plus de 2 millions en 2011, un chiffre encourageant mais relativement modeste par rapport à d'autres superproductions de l'époque (ne citons que Skyrim). À vrai dire, peu d'immersive sims rencontrent un franc succès commercial. Soutenu par une large campagne marketing, le premier Dishonored s'était suffisamment bien vendu pour justifier une suite, mais celle-ci se vendra largement moins en comparaison (comme en témoigne cet article en anglais de VG24/7). Presque toujours salués par la critique, les immersive sims sont souvent plombés au moment de leur sortie par un marketing pas toujours visible, mais aussi leur relative complexité: riches en possibilités et offrant des contrôles parfois complexes, ces jeux demandent souvent un plus grand investissement que d'autres pour être pleinement appréciés. Un destin auquel n'échappera pas non plus l'excellent Prey. Il faudra attendre la sortie de Cyberpunk 2077 en décembre dernier pour enfin voir un jeu apparenté aux immersive sims crever le plafond en termes de ventes... avec les polémiques que l'on connaît. De quoi relancer le genre malgré tout ? Difficile à dire, d'autant plus que le futur Deathloop d'Arkane Studios est encore relativement peu visible dans l'actualité au moment d'écrire ces lignes (et sans doute encore plus difficile à présenter que ses prédécesseurs). En tout cas, à en croire Square Enix, la licence Deus Ex n'a pas encore dit son dernier mot. Fin 2017, le PDG de Square Enix, Yôsuke Matsuda, a tenté de rassurer les fans en déclarant que la saga d'Adam Jensen n'a pas été enterrée et est seulement en hibernation... mais à l'heure actuelle, un troisième volet ne semble toujours pas à l'ordre du jour.

MiniatureEst-ce que cela vaut donc bien la peine de se lancer dans Deus Ex: Mankind Divided, sachant qu'il est aussi divisé que son sous-titre ? Eh bien oui, mais à condition de l'aborder dans son entièreté. Comprenez par là que si vous vous contentez de l'intrigue principale, Mankind Divided vous laissera forcément un arrière-goût de trop peu: comptez entre 10 à 15 heures pour voir la fin. En revanche, comptez une bonne quarantaine d'heures si vous prenez le temps d'explorer l'entièreté du jeu et de réaliser un maximum de quêtes secondaires, et même jusqu'à un peu plus de 50 heures si vous incluez les DLCs (tout particulièrement Passé criminel). Il faut dire aussi que le cadre où se déroule Mankind Divided est encore plus fouillé que celui de son aîné, d'autant qu'il y a du changement dans l'air. Près de deux ans après les évènements de Human Revolution (que je vous laisserai découvrir par vous-mêmes), les augmentés sont craints de la population organique, exclus de la plupart des activités sociales et isolés dans des ghettos. Pire: un projet de loi de l'ONU envisage de carrément bannir les augmentations mécaniques à terme. Seule lueur d'espoir à l'horizon pour les augmentés: la construction d'une ville par et pour les augmentés - grâce à l'impression 3D, rien que ça - à l'initiative d'un magnat de l'immobilier philanthrope. Adam Jensen a toutefois un peu plus de chance que ses pairs: non content d'incarner ce qui se fait de plus pointu en matière d'augmentations, l'ex-flic de Detroit a aussi la chance de pouvoir continuer à exercer son métier. En effet, Adam travaille à présent pour la branche de Prague de la Task Force 29, une organisation antiterroriste mise sur pied par Interpol pour anticiper les attentats visant aussi bien les augmentés que les organiques. Et ce n'est pas le travail qui manque: après un tutoriel d'une bonne heure dans un immeuble inachevé de Dubai (portant sur un trafic d'armes, mais avec une surprise), on retrouve Adam quelques semaines plus tard dans un train pour Prague, seulement pour assister à un nouvel attentat dès son arrivée. Cet attentat constitue bien entendu un des évènements qui vont mettre en route l'intrigue principale de Mankind Divided, qui s'avèrera d'autant plus tortueuse qu'Adam est dès le départ un agent double: par le biais de sa camarade augmentée Alex Vega, il collabore avec le collectif Mastodonte, un groupe cyberterroriste anticorruption qui garde un oeil sur la Task Force 29.

« Des sections entières de la ville de Prague n'ont d'autre vocation que de servir de cadre à une ou plusieurs quêtes secondaires scénarisées, souvent plus consistantes que celles de Human Revolution. »


MiniatureUn des grands atouts de Mankind Divided n'est autre que Prague elle-même, où se déroule la majeure partie du jeu. Plus grande que les deux bouts de ville visités dans Human Revolution, Prague version Deus Ex est une ville raisonnablement futuriste à plusieurs facettes, où quelques immeubles high tech détonnent dans un paysage qui a tout de la cité vénérable qui s'adapte lentement mais sûrement à son époque. En marge des lieux clairement ancrés dans le futur (comme une banque de données ultrasécurisée), on pourra y découvrir des établissements clandestins et autres planques contrôlés par une mafia à l'ancienne, un quartier chaud qui n'hésite pas à employer des augmenté(e)s peinant sinon à trouver de l'emploi, ou encore des égoûts accueillant aussi bien les dissidents politiques que les augmentés en fuite. Si le scénario principal donnera l'occasion de visiter quelques lieux importants, c'est en explorant en marge de celui-ci que l'on pourra profiter au mieux de ce mini-monde ouvert, qui ne souffre que d'un unique temps de chargement entre le centre-ville et le ghetto des augmentés où commence le jeu. Il faut dire aussi que des sections entières de la ville de Prague n'ont d'autre vocation que de servir de cadre à une ou plusieurs quêtes secondaires scénarisées, souvent plus consistantes que celles de Human Revolution. Une des toutes premières quêtes annexes, qui consistera à enquêter sur le trafic d'une nouvelle drogue potentiellement mortelle auprès des augmentés, vous offrira l'opportunité d'infiltrer un laboratoire clandestin ainsi qu'une rave party permanente. L'occasion de prendre connaissance aussi bien des acteurs (parfois malgré eux) que des victimes de ce trafic, à condition bien sûr de passer au peigne fin les environnements visités. Mankind Divided ne s'arrête pas en si bon chemin: plusieurs quêtes proposent différentes fins en fonction de vos choix, certaines d'entre elles pouvant conduire à des quêtes supplémentaires à mesure que le scénario progresse, offrant de nouvelles opportunités pour explorer Prague et plus généralement l'univers de Deus Ex - les thèmes chers à la série (comme l'évolution de la technologie et ses conséquences) n'étant jamais bien loin. Si les choix sont nombreux du côté des quêtes secondaires, l'intrigue principale n'est pas en reste et s'avère plus riche en la matière que Human Revolution. Cela va du simple choix de dialogue pouvant débloquer une situation ultérieurement au dilemme cornélien entre deux objectifs qui ne peuvent être complétés simultanément. Certains de vos choix pourront notamment changer les options disponibles pour terminer le dernier acte du jeu, succès/trophées cachés à l'appui.

MiniaturePlus riche en matière de choix scénaristiques et fort d'un terrain de jeu soigné, Mankind Divided propose bien évidemment quelques améliorations en termes de gameplay par rapport à Human Revolution, à commencer par une révision du système de couverture qui ajoute la possibilité de réaliser un bref sprint en sortant d'une cachette, bien pratique pour se faufiler derrière un ennemi et le neutraliser (à moins que vous ne préfériez l'option violente). Les augmentations, quant à elles, gagnent en versatilité: fort de nouvelles augmentations expérimentales posées à son insu (évoquées au début du jeu), Adam pourra faire des ruées en avant, renverser ses adversaires avec une onde de choc, pirater et même neutraliser à distance (à l'aide d'arcs électriques) et bien plus encore. Toutefois, cette versatilité aura un prix dans un premier temps: car il est trop bien équipé pour son propre bien, Adam ne pourra pas utiliser tout à la fois en début de partie, et il faudra donc complètement désactiver les augmentations expérimentales de son choix pour pouvoir disposer des autres sans danger. Au bout du compte, Mankind Divided se montre souvent un peu plus riche que ne l'était Human Revolution, à condition toujours de prendre son temps pour explorer. Il n'en corrige pas pour autant certaines faiblesses: les errances de l'intelligence artificielle et le quasi-fétichisme pour les conduits d'aération du level design sont malheureusement toujours là. Difficile, aussi, de passer sous silence l'un ou l'autre retournement de situation un peu brusque lors des joutes verbales avec les personnages-clé, quoique le jeu ironise parfois à ce sujet. Sur le plan technique, Mankind Divided offre des personnages comme des décors beaucoup plus détaillés que son aîné, mais n'offre pas la même finition. Difficile d'ignorer, par exemple, le clipping permanent des cheveux et de la barbe d'Adam avec le trench coat qu'il porte par défaut dès son arrivée à Prague. Et si les animations de neutralisation/exécution des ennemis sont superbement animées, la micro-seconde d'écran noir après les avoir déclenchées (justifiée techniquement par un re-positionnement des personnages dans l'espace 3D) pourra agacer les esthètes.

MiniatureÀ l'évidence, et au-delà de ses quelques problèmes de finition, Mankind Divided aurait pu être un très grand jeu si son intrigue avait bénéficié de quelques heures en plus afin de proposer une conclusion satisfaisante. Il faudra donc s'en tenir à un très bon jeu, qui enrichit nettement le cadre posé par Human Revolution en plus d'y apporter des améliorations de fond comme de forme, à défaut d'en corriger les quelques erreurs de jeunesse. Les plus motivés pourront prolonger encore l'expérience avec les DLCs Piratage et Passé criminel, chacun explorant un autre pan du monde de Deus Ex. Le premier se déroule toujours à Prague - mais dans un quartier inédit - et consiste à infiltrer un data center d'un nouveau genre qui est seulement aperçu de loin dans le jeu de base. Un poil court (comptez une après-midi pour en voir le bout), Piratage a toutefois le mérite d'introduire quelques obstacles intéressants pour renouveler le level design. C'est surtout Passé criminel qui vaut le détour: plutôt long (comptez entre 8 et 10 heures de jeu), cet ultime DLC emmène le joueur dans le cadre cauchemardesque d'une prison haute sécurité pour augmentés basée sur un piton rocheux du fin fond de l'Arizona. C'est là qu'Adam Jensen devra se faire passer pour un prisonnier afin de retrouver la trace d'un autre agent d'Interpol infiltré, l'occasion idéale pour explorer un environnement inédit tout en devant repartir d'une feuille blanche en matière d'augmentations (à l'instar du Chaînon manquant de Human Revolution). Si les liens entre cette ultime mission et l'intrigue principale sont suffisamment subtils que pour donner l'impression de jouer à un stand-alone, ce dernier DLC a au moins le mérite de proposer une conclusion satisfaisante, à défaut de rattraper les lacunes de la fin principale.

Un futur antérieur à conjuguer au présent

Même s'ils commencent tout doucement à prendre de l'âge (on fêtera bientôt les 10 ans de la sortie de Human Revolution), les Deus Ex d'Eidos Montréal restent des valeurs sûres en matière d'immersive sims. Certes, vous n'y trouverez pas le même foisonnement visuel que dans des productions plus récentes, et d'aucuns pourront leur préférer les productions d'Arkane Studio pour la plus grande créativité de leur level design. Sur ce dernier point, aussi bien Human Revolution que Mankind Divided pourront parfois sembler trop convenus, bien qu'ils offrent tous deux tout ce qu'on attendrait d'un immersive sim, même au moment d'écrire ces lignes. En revanche, si vous êtes amateur de science-fiction, les oeuvres d'Eidos Montréal valent certainement le détour: entre le contexte futuriste, les thèmes abordés, la direction artistique et la multitude de sous-intrigues développées dans les quêtes secondaires, elles ont encore beaucoup à vous offrir. Il faudra certes mordre sur sa chique au moment de découvrir le final expédié de Mankind Divided, mais il serait bien dommage de passer à côté d'un univers aussi soigné qu'il n'est fascinant pour si peu. Gageons que Square Enix ne l'oublie pas totalement à moyen terme, histoire d'enfin rendre justice à la saga en permettant à Eidos Montréal de réaliser une conclusion digne de ce nom à la saga d'Adam Jensen.

Cette chronique a été écrite après avoir parcouru les versions PC des deux jeux discutés, avec un peu moins de 40 heures passées sur Human Revolution Director's Cut et un peu plus de 50 heures consacrées à Mankind Divided (DLCs compris).

Deus Ex: Human Revolution Deus Ex: Mankind Divided

Chronique rédigée par JefGrailet
Publié le 24/04/2021 à 17:49

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