Les vétérans de la série ne le savent que trop bien: Monster Hunter et les consoles de salon, c'est une longue succession de "je t'aime, moi non plus". Né sur PlayStation 2, où il attirera avant tout l'attention du public japonais, le simulateur de chasse de Capcom a rencontré le succès principalement sur PlayStation Portable puis sur Nintendo 3DS, en dépit d'un épisode sur Wii qui deviendra million seller rien qu'au Japon. En effet, même si cet opus (Monster Hunter 3, aussi appelé Monster Hunter Tri) fut l'épisode de salon le mieux vendu, son petit million de ventes et des poussières n'est guère impressionnant quand on le compare aux ventes des versions nomades, le record étant détenu par Portable 3rd sur PSP avec 4,8 millions de ventes - et de nouveau, rien qu'au Japon. Une performance qui fera d'ailleurs bien des émules, de God Eater à Final Fantasy Explorers en passant par Toukiden. Des émules qui seront d'ailleurs assez ironiquement nombreux sur PlayStation Vita, une console pourtant snobée par la licence de Capcom (en dehors de quelques portages timides de Frontier, son penchant MMO). Et ce n'est pas le soutien appuyé de Sony à deux d'entre eux, Soul Sacrifice et Freedom Wars, qui feront changer Capcom d'avis, qui préférera continuer son petit bonhomme de chemin sur Nintendo 3DS. Seulement voilà: quand le hardware de la portable de Nintendo dépasse à peine celui d'une PSP (et avec une résolution sensiblement inférieure) et arrive tout juste au niveau d'une Wii, le fossé technique entre les épisodes 3DS et les épisodes PSP est minime - et ce ne sont pas des hitboxes plus raffinées, des animations plus fines, des cartes un peu plus accidentées et la présence d'ombres dynamiques qui vont changer radicalement la donne. Tant et si bien que la patience des fans pour un épisode développé sur un hardware plus puissant s'est muée, pour certains, en un véritable agacement.
Heureusement pour la communauté des chasseurs de monstres, le dernier E3 fut l'occasion pour Capcom d'annoncer lors de la conférence de Sony non pas une, mais deux bonnes nouvelles: Monster Hunter revient enfin sur supports de salon, et devient par la même occasion un jeu multiplateforme. En effet, Monster Hunter World a été annoncé à la fois sur PlayStation 4, Xbox One et sur PC, bien que Sony semble avoir négocié une petite avance pour la PlayStation 4: cette version sortira en effet avant les autres, comme pour prendre une revanche symbolique sur le monopole que Nintendo a eu sur la licence depuis son passage sur 3DS. Toutefois, Capcom ne sait que trop bien que la série cartonne avant tout sur consoles portables, et de ce fait, World entend bien séduire autant que possible le public occidental pour consolider son futur succès, tant et si bien que Capcom a préféré l'intituler "World" plutôt que "Monster Hunter 5" pour suggérer un nouveau départ, comme a pu l'expliquer le producteur Ryozo Tsujimoto à VG 24/7. D'ailleurs, le moment est peut-être bien choisi pour lancer cette vaste opération séduction, puisque les efforts de Nintendo à la promotion des épisodes Wii et 3DS ont petit à petit porté leurs fruits: depuis les épisodes PSP, alors considérés comme des jeux de niche dont le succès fut parfois qualifié d'énigmatique par la presse occidentale, les épisodes chez Nintendo ont petit à petit séduit un plus grand nombre de joueurs jusqu'à atteindre le million de copies distribuées en occident avec Monster Hunter 4 Ultimate. Mais Monster Hunter étant le jeu revêche par excellence, le terme "accessibilité" a souvent une connotation négative auprès des fans. Les équipes de Capcom ont-elles réussi à accomplir la mise à jour technique et à offrir une plus grande accessibilité sans trahir les fondamentaux de la série ? S'il est encore un peu tôt pour livrer un verdict, une beta publique sur PS4 du 22 au 26 décembre 2017 (qui fait suite à une beta précédente tenue début décembre, mais exclusive aux membres du PS+) a permis de se faire une première idée de ce nouvel épisode qui sera, quoi qu'il arrive, un nouveau cap pour la série de Capcom.
Permettant de visiter les zones du désert des termites et de la forêt ancienne, la beta de Monster Hunter World proposait aux joueurs de chasser 3 monstres cibles à la difficulté croissante, seul ou à plusieurs, comme le veut la tradition des démos de tout bon Monster Hunter. Mais voulant visiblement montrer le plus possible le potentiel de son nouveau bébé, Capcom a proposé aussi bien des menus additionnels que du contenu supplémentaire pour les plus zélés. Entre autres, avant de partir en mission, il était possible de choisir entre plusieurs pièces d'équipement en plus de pouvoir choisir l'arme, ainsi que de découvrir les capes (des vêtements qui confèrent des bonus temporaires quand utilisés), là où les démos traditionnelles imposent une armure pour chaque arme. Il fallait bien ça pour découvrir le nouveau système de talents, qui ne fonctionne plus par l'accumulation de points de talent mais par pièce d'équipement. Par exemple, le casque de la tenue Anjanath offre d'office un petit bonus d'attaque via le talent Machine de guerre, mais l'équiper avec d'autres pièces portant le même talent permet de renforcer ce bonus et même de devenir mixte: à partir de 4 pièces, Machine de guerre augmente aussi l'affinité de votre arme (c.-à-d., sa probabilité d'infliger un coup critique), bien que le talent Maître d'armes (équivalent aux points de talent Expert des opus antérieurs) augmentera plus rapidement celle-ci. Plus besoin, donc, d'attendre un éventuel rang G et ses équipements les plus rares pour cumuler des points de talents Shogun ou Furie déclenchant à terme des talents mixtes. Ce nouveau système, plus lisible et modulaire, est donc plutôt séduisant sur le papier; reste à savoir ce que cela donnera sur la longueur dans la version finale.
Mais ce qui rendait surtout cette beta intéressante, en particulier pour les chasseurs émérites, c'est la présence de monstres surprises un peu partout. En effet, en plus des 3 monstres cibles des quêtes proposées (le grand Jagras, un gros iguane, le Barroth, un bulldozer naturel déjà bien connu des fans, et enfin l'Anjanath, un petit T-rex pouvant cracher du feu quand énervé), le joueur pouvait croiser le Kulu Ya-Ku (un croisé entre un raptor et un Dodo), le Jyuratodus (un wyvern nageur ayant l'aspect d'un gros poisson de boue) ou encore le Pukei-Pukei (un petit wyvern à la tête de caméléon). Mais on pouvait aussi et surtout rencontrer le Rathalos et le Diablos, deux grands wyverns présents depuis les débuts de la série et qui s'avéraient être les monstres les plus dangereux de cette beta. En plus de constituer des défis annexes pour ceux qui trouveraient les cibles trop faciles à chasser, ces monstres supplémentaires pouvaient aussi faire la démonstration d'une des nouveautés de cette épisode: les interactions entre monstres. Car si les grands monstres apparaissant par surprise au cours d'une quête font partie du quotidien des chasseurs depuis quelques années déjà (ah, ce satané Deviljho), ceux-ci pourront désormais se battre avec les monstres déjà présents. Certes, les grands monstres pouvaient déjà se blesser entre eux (par accident, ou en profitant de l'IA), mais ils pourront ici se battre intentionnellement, ce qui déclenchera au passage des animations uniques qui feront des gros dégâts au perdant de la joute, à défaut de forcément le tuer. Les interactions ne s'arrêtent pas là, car le décor est maintenant truffé de petits pièges que l'on peut utiliser à son avantage. L'exemple le plus évident est sans doute le barrage devant la cascade qui se trouve à proximité du nid du Rathalos dans la forêt ancienne: si le barrage est détruit par le Rathalos, les chasseurs ou l'infortuné Anjanath (voire le Rathalos lui-même) qui se trouveront sur la trajectoire du flot d'eau seront envoyés quelques dizaines de mètres plus bas. Une occasion en or pour les chasseurs s'étant rattrapés aux branches d'attaquer le monstre encore étourdi par sa chute.
Utiliser et observer son environnement: il s'agit là de la grande idée de cet épisode, qui profite du hardware de ses nouveaux supports pour illustrer richement son écosystème et donner, au passage, plus de sens à la collecte d'objets. En effet, certains insectes et petits animaux bien connus des chasseurs font maintenant partie intégrante du décor. Par exemple, il n'est plus nécessaire de se rendre à un point de collecte précis avec son filinsecte pour capturer des flashinsectes: ceux-ci se promènent désormais dans la nature sous forme d'orbes lumineux. Mieux: si vous les frappez avec votre arme, cela provoquera un flash lumineux (identique à celui d'une bombe flash) qui ne manquera pas d'étourdir les monstres à proximité. Pareillement, frapper une certaine variété de crapauds se promenant dans la forêt libèrera une poudre qui paralysera temporairement les monstres (mais aussi les chasseurs imprudents) à proximité. Encore mieux: désormais équipé d'une fronde (un arc miniaturisé que tout chasseur de World porte à son bras gauche), vous pourrez lancer des petits objets (comme des pierres) avec précision en visant avec L2 (R2 pour tirer) pour mieux déclencher les éléments du décor. La même fronde permettra aussi d'utiliser plus aisément des petites armes de jet comme les couteaux paralysants, de nouveau bien connus des fans, mais dont la trajectoire était auparavant pré-déterminée. Vous voulez faire tomber un Rathalos qui passe trop de temps en l'air ? Lancez-lui quelques-uns de vos couteaux paralysants avec votre fronde, et le tour est joué. Mais bien entendu, viser des flashinsectes en liberté avec une simple pierre fera tout aussi bien l'affaire. Inutile de préciser que les décors d'un Monster Hunter n'ont jamais été aussi vivants, d'autant plus qu'ils conservent la variété des reliefs et l'escalade introduits par Monster Hunter 4 et son extension. Qu'il est loin le temps des épisodes PSP, où les décors n'étaient qu'une simple succession d'arènes parsemées d'obstacles!
« Si Monster Hunter World s'annonce dores et déjà comme l'épisode le plus riche en termes de décors et d'interactions avec ceux-ci, il ne change pas (ou peu) les fondamentaux de la saga. En effet, le gameplay de World s'inscrit dans la continuité de Monster Hunter 4. »
En revanche, si Monster Hunter World s'annonce dores et déjà comme l'épisode le plus riche en termes de décors et d'interactions avec ceux-ci, il ne change pas (ou peu) les fondamentaux de la saga. En effet, le gameplay de World s'inscrit dans la continuité de Monster Hunter 4 plutôt que de proposer une refonte complète du game design de ses ancêtres. La façon dont World agence les zones est peut-être le meilleur exemple de cette continuité: contrairement à une idée reçue et populaire peu de temps après l'annonce de l'E3, World n'est pas véritablement un jeu en monde ouvert, et à vrai dire, ses cartes sont conçues, en termes de level design, de la même manière que ses prédécesseurs. Il s'agit donc toujours d'un enchevêtrement de zones numérotées et connectées entre elles via différentes "portes", à la différence près que les écrans de chargement d'antan sont aujourd'hui remplacés par des couloirs bien maquillés et qu'il est possible, grâce à la distance d'affichage permise par les nouveaux supports, d'apercevoir au loin la topologie des zones adjacentes et les monstres qui s'y trouvent. De même, quand un monstre décide de changer de zone, il va la plupart du temps suivre un de ces couloirs pour se rendre dans une zone adjacente, comme c'était déjà le cas par le passé. La dynamique de la chasse n'a donc pas vraiment changé de ce point de vue, bien que chaque carte propose désormais plusieurs camps de base auxquels on peut se "téléporter" via des petites vouivres de transport. De façon générale, le gameplay des joutes avec les monstres reste proche des derniers épisodes 3DS, si ce n'est qu'il n'y a plus de styles ou de hunter arts comme le proposait Generations (et sa suite Monster Hunter XX, toujours exclusive au Japon). Le gameplay des différentes armes sera donc familier pour les habitués, bien que presque toutes les armes ont eu droit à quelques petits ajouts ou ajustements appréciables.
Cela dit, réinventer un concept éprouvé tout en le rendant accessible au plus grand nombre ayant rarement été couronné de succès dans l'histoire récente, l'approche de Capcom pour ce Monster Hunter World semble être la plus à même de concilier vieux chasseurs et nouveaux venus. Ces derniers seront d'ailleurs encore plus choyés qu'à l'accoutumée: non seulement World reprend les compagnons Felyne (également appelés Palico) présents depuis Monster Hunter Freedom Unite (PSP) et le verrouillage de la caméra sur un grand monstre proposé à partir de Monster Hunter 3 Ultimate (3DS), mais il introduit aussi une assistante (a priori désactivable dans la version finale) qui commentera vos actions en début de partie en plus d'expliquer au fur et à mesure les bases de la chasse et du monde de Monster Hunter. Les navicioles faciliteront quant à elles la traque des monstres pour les débutants (et seront désactivables pour les autres). Les contrôles ne sont pas en reste, car les équipes de Capcom ont visiblement cherché à gommer les dernières aspérités qui pourraient perturber le nouveau venu en introduisant de nouveaux raccourcis et signaux visuels, ainsi qu'en modifiant l'utilisation des objets de soin et de buff. Ainsi, appuyer sur R1 comme pour se mettre à courir alors que l'on a dégainé son arme rengaine automatiquement celle-ci avant d'entamer la course. Côté interface de jeu, on peut désormais évaluer l'état du tranchant d'une arme via une petite jauge et même savoir combien de points de dégâts chaque attaque inflige, plutôt que d'avoir des gerbes de sang dont l'intensité suggère l'efficacité du coup. Enfin, Il est maintenant possible de se soigner en marchant voire en courant lentement (il fallait auparavant se mettre à couvert et rester immobile un bref instant), à la condition de ne pas être blessé pendant une certaine durée sans quoi le soin/bonus est annulé - un changement qui a fait débat parmi les fans lorsqu'il fut révélé, mais qui ne semble finalement pas tellement faciliter les choses une fois la manette en main. A vrai dire, le temps requis pour finir une méga potion peut même s'avérer être un handicap dans les situations les plus dangereuses. Et si la beta permettait de constater ces premiers changements manette en main, la version finale ira encore plus loin en proposant d'elle-même l'arbre d'évolution des armes et la liste des composants que l'on peut récupérer sur chaque monstre - autant d'éléments qui sont restés jusqu'ici le monopole des wikis dédiés. Plutôt que d'opérer une casualisation redoutée par les fans, Monster Hunter World cherche plutôt à être sa propre encyclopédie pour séduire de nouveaux joueurs.
Enthousiasmante dans l'ensemble, cette beta révélait toutefois quelques faiblesses loin d'être anecdotiques. En particulier, le bilan technique de ce Monster Hunter World n'est pas exceptionnel et aurait même de quoi inquiéter un peu les joueurs qui s'en tiendront aux versions sur consoles. En effet, le framerate n'est pas au beau fixe et souffre de chutes clairement visibles dans les moments les plus chargés en action, y compris sur la PS4 Pro qui permet de débloquer le framerate au-delà des 30 images/seconde. On est bien loin du sacro-saint 60 images/seconde, même si les vétérans vous diront qu'on a bien fait sans sur PS2 et PSP. Quant aux graphismes, Monster Hunter World ré-utilise le moteur maison de Capcom, le MT Framework, et ne creuse pas un énorme fossé avec Dragon's Dogma, un autre jeu de Capcom basé sur le même moteur et qui date tout de même de 2012. De ce côté, c'est la direction artistique et la richesse des écosystèmes qui contribuent le plus à la réussite visuelle des décors. Quant aux monstres, les animations demeurent soignées sans pour autant marquer une rupture avec les épisodes 3DS, bien que les animations qui connectent les différents comportements ont bénéficié d'un soin particulier. Mais c'est surtout du côté de la difficulté que ce World pourrait (légèrement) décevoir: si une démo/beta est rarement un bon indicateur de la difficulté d'un épisode, la mollesse de certaines animations a de quoi inquiéter. En particulier, le Diablos, d'habitude parmi les monstres les plus agressifs, prend maintenant tout son temps pour s'extirper du sable et n'utilisera sa charge la plus dévastatrice que dans une zone bien particulière du désert des termites. A moins qu'il ne regagne en agressivité dans les quêtes de rang supérieur ou via une future sous-espèce, comme ce fut le cas dans de précédents épisodes ? Après tout, si Monster Hunter 4 avait un des jeux en solo les plus simples de la série, le rang G de son extension Ultimate est sans doute un des plus corsés. L'abondance de pièges naturels pour étourdir ou immobiliser les monstres risque aussi de faire débat auprès des fans, bien que l'on puisse considérer que la gestion de son environnement (et de son équipement) est aussi une forme d'intelligence dans la chasse, quitte à froisser ceux qui préfèrent une approche purement martiale où la maîtrise de son timing et de son arme priment sur le reste. Ici, la bonne vieille politique du wait & see sera donc de rigueur.
Plutôt qu'un renouveau de la licence, Monster Hunter World semble plutôt incarner un aboutissement de la formule déjà bien connue de ses prédécesseurs. Visuellement plus riche et adoucissant quelques-uns de ses aspects les plus rédhibitoires (entendons-nous, pour un nouveau joueur) sans trahir ses fondamentaux, le blockbuster de Capcom mettra en particulier l'accent sur l'interaction avec le décor et les interactions des monstres avec celles-ci, voire entre eux, et s'annonce dores et déjà comme l'épisode le plus abouti sur ce point. Quelques ajouts pertinents (comme la fronde ou la jauge du tranchant de l'arme) et des assouplissements dans les contrôles permettront à chacun d'y trouver son compte, et la perspective d'avoir une encyclopédie intégrée et différentes aides désactivables au lieu d'une simplification du jeu a de quoi rassurer. Reste à savoir quel sera le bilan technique de la version finale, celui de la beta n'étant guère exceptionnel, mais aussi et surtout comment évoluera la courbe de difficulté: en effet, certains monstres connus des habitués, tel le Diablos, semblaient bien moins agressifs en termes d'animation qu'à l'accoutumée... à moins que ce ne soit le cas que dans les quêtes de bas niveau du jeu final ? Réponse dans le jeu complet, à paraître en priorité sur PS4 le 26 janvier 2018.
Conditions de jeu: cet aperçu a été rédigé après avoir joué entre 5 et 10 heures à la beta publique, sur PS4 Pro (en mettant la priorité sur le taux de rafraichissement de l'image).
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