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Shadow of the Colossus

Minimal et colossal

A l'heure où les jeux d'action/aventure accumulent les systèmes de jeu, tant pour le soucis du détail que pour augmenter la complexité du gameplay ou la durée de vie, il est parfois bon de se souvenir que l'adage less is more peut aussi s'appliquer au jeu vidéo. Comme pour mieux le rappeler, Shadow of the Colossus nous revient sur PlayStation 4 avec une sérieuse remise à niveau graphique, plus de 12 ans après la sortie sur le Vieux continent du jeu original sur PlayStation 2 (en février 2006). Déjà à l'origine du portage HD sur PlayStation 3, le studio texan Bluepoint Games (qui s'est fait une spécialité des portages et des restaurations, tels Metal Gear Solid HD Collection ou Gravity Rush Remastered) a en effet retravaillé de fond en comble les décors, les personnages et les effets visuels pour mieux tirer parti du hardware de la PlayStation 4 (Pro). Au point que certains parlent de remake, là où d'autres verraient plutôt une sorte de remaster plus conséquent qu'à l'accoutumée, et pour cause: en dehors d'une nouvelle sorte d'objet à collectionner pour débloquer une variante d'épée inédite, cette remise à niveau de Shadow of the Colossus reprend exactement le même contenu que les précédentes versions. Quant à savoir si cette nouvelle version transcende l'oeuvre originale ou si, au contraire, elle tue une partie de sa magie (voir par exemple cet article en anglais), j'aurais bien du mal à vous répondre. En revanche, si comme moi vous n'avez pas eu la chance de connaître l'original, alors je pourrai peut-être vous convaincre que Shadow of the Colossus sur PS4 demeure une expérience singulière qui mérite que l'on s'y arrête l'espace de quelques heures.

Miniature En effet, bien qu'il soit souvent classé comme étant un jeu d'aventure, Shadow of the Colossus est très éloigné des codes habituels du genre, faisant primer la sobriété sur le reste. Une sobriété qui s'applique aussi à la narration, puisque l'introduction ne dure que quelques minutes et ne donne que les éléments scénaristiques les plus essentiels. Dans l'espoir de ressusciter une jeune fille sacrifiée car maudite (la nature de la malédiction n'étant pas précisée), un guerrier surnommé Wander (ou Wanda, ou encore The Wanderer) se rend à cheval sur les Terres Interdites, seulement équipé d'une épée antique et d'un arc de fortune. Aussitôt arrivé dans un temple situé au coeur des Terres Interdites, Wander y entend la voix de Dormin, une entité surnaturelle dont on dit qu'elle peut ramener les âmes des morts dans le monde des vivants. Wander et Dormin concluent alors un marché: si le premier parvient à terrasser 16 colosses vivant sur les Terres Interdites, alors le second ressuscitera la jeune fille, Dormin précisant toutefois que le prix à payer peut être très lourd. Une fois cette courte introduction terminée, il ne faudra pas s'attendre à de grands développements scénaristiques avant la fin du jeu: Shadow of the Colossus distille au compte-goutte les cinématiques et laisse planer le mystère sur la nature des Terres Interdites et de la quête de Wander, et ce jusqu'aux derniers instants de l'aventure. Déjà concis sur le plan de la narration, Shadow of the Colossus l'est tout autant avec d'autres piliers du genre du jeu d'aventure. Des villes et des villages ? Au mieux, vous ne trouverez que des ruines. Des PNJs proposant des quêtes ou offrant plus simplement quelques dialogues pour développer l'univers du jeu ? Dans les Terres Interdites, ça n'existe pas ! Des équipements à trouver pour mieux atteindre et affronter les colosses, à la Zelda ? Vous ne disposerez que de votre épée et d'un arc.

MiniatureNéanmoins, moyennant une exposition aux rayons du soleil, votre épée pourra vous indiquer la direction à suivre à vol d'oiseau vers le prochain colosse à éliminer. Il appartient alors au joueur de trouver son chemin à travers les plaines, les ravins et les forêts des Terres Interdites en suivant ce fil d'Ariane magique. Ces mêmes terres sont d'ailleurs entièrement visitables dès le début du jeu (à une exception près), de quoi permettre à ceux qui se refuseraient d'utiliser trop souvent les rayons de l'épée de déambuler et de se perdre à loisir. Une fois face à un colosse, le joueur devra utiliser son environnement, son arc ou encore sa monture pour se donner l'opportunité d'escalader la créature et de chercher ses points faibles. Car ce n'est qu'en plantant l'épée antique dans chacun des points faibles d'un colosse (signalés par des symboles lumineux une fois l'épée dégainée) que l'on pourra le terrasser, après quoi le joueur sera ramené au temple du début du jeu où il pourra entendre les indices laconiques de Dormin à propos du prochain colosse. Dit comme ça, la boucle de gameplay de Shadow of the Colossus est plutôt simple, surtout en l'absence d'autres activités que de chercher et vaincre les colosses. Par ailleurs, comme la tâche principale du joueur pour vaincre un colosse est de l'escalader à la recherche de ses points faibles, les affrontements tiendront plus souvent du puzzle game magnifié que du jeu d'action. Seule une jauge d'endurance (en plus de la traditionnelle jauge de vie) viendra sporadiquement compliquer l'escalade ou la nage, contraignant le joueur à utiliser parcimonieusement son énergie. Shadow of the Colossus n'en demeure pas moins un jeu plutôt facile; aussi, j'aurais tendance à conseiller de commencer directement en Difficile afin de rendre les colosses un peu plus tenaces, certains gagnant au passage des points faibles supplémentaires. Ceci étant dit, si Shadow of the Colossus peut sembler être un jeu répétitif en plus d'être assez facile, il fait preuve d'inventivité quand il s'agit d'aborder chaque colosse. En effet, chaque colosse est unique dans l'approche à adopter, et il faudra souvent faire preuve d'astuce pour parvenir à ses fins. Ce renouvellement constant dans la façon d'aborder un colosse compense largement la répétitivité et le minimalisme de la formule, tout comme un bon level design peut rendre fantastique un jeu de plates-formes où les actions du joueur sont pourtant limitées.

« Entre ses plaines à perte de vue, ses forêts luxuriantes, ses panoramas à tomber et bien sûr ses colosses impressionnants, Shadow of the Colossus est avant tout une ode à la contemplation et au grandiose. »


MiniatureMais Shadow of the Colossus n'a pas pour vocation d'être un jeu brillant par la richesse ou la complexité de son gameplay. Son intérêt est ailleurs: entre ses plaines à pertes de vue, ses forêts luxuriantes, ses panoramas à tomber et bien sûr ses colosses impressionnants, Shadow of the Colossus est avant tout une ode à la contemplation et au grandiose. Une réussite que l'on doit aussi bien à la direction artistique et la sobriété de l'interface (endurance et vie n'apparaissent à l'écran que quand c'est nécessaire) qu'à la réalisation pointue de cette version. Les décors donnent l'impression qu'on joue bel et bien à un jeu PlayStation 4 plutôt qu'à un jeu PlayStation 2 rafraîchi, que ce soit avec l'herbe des plaines qui bouge au gré du vent, la qualité de la modélisation et des textures des reliefs escarpés ou encore la richesse de la végétation au sein des quelques forêts. On saluera aussi le rendu de la fourrure des colosses et certains effets de lumière, comme ce soleil régulièrement caché derrière les nuages dont la lumière voilée baigne faiblement les Terres Interdites, renforçant l'atmosphère mystérieuse de celles-ci. Pour ne rien gâcher, les possesseurs d'une PS4 Pro pourront en plus choisir entre une résolution adaptée aux téléviseurs 4K ou un framerate qui frôle le sacro-saint taux constant des 60 images par seconde. Déjà un plaisir pour les yeux, Shadow of the Colossus est aussi un plaisir pour les oreilles: plutôt rare lors de l'exploration, la bande originale (légèrement rafraîchie pour l'occasion) décolle dès l'instant où l'on affronte un colosse, offrant en sus de belles fulgurances lors des phases les plus critiques.

MiniaturePas besoin de passer par quatres chemins: si vous savez apprécier à leur juste valeur ces jeux vidéo qui placent l'expérience visuelle et sonore (voire émotionnelle) au-dessus de l'expérience ludique, Shadow of the Colossus est un jeu à essayer absolument. Il l'est d'autant plus que sa conception en tant que jeu se débarrasse délibérément de tout ce qui pourrait être superflu vis-à-vis de ses intentions, comme les mécaniques orientées RPG ou les quêtes annexes que l'on trouve à la pelle dans d'autres jeux d'aventure. Tout au plus, explorer les Terres Interdites permettra au joueur de trouver ici et là des lézards à queue brillante et des fruits pour augmenter respectivement les jauges d'endurance et de vie de Wander. Les amateurs de contre-la-montre pourront aussi ré-affronter les colosses avec une limite de temps après avoir complété le jeu une première fois, permettant de débloquer quelques bonus dont l'intérêt reste toutefois limité. Forcément, la conséquence de cette sobriété volontaire est que Shadow of the Colossus n'est pas très long: moins de 8 heures de jeu (en prenant son temps) suffiront pour connaître le fin mot de l'histoire, et il n'est guère compliqué d'improviser un speedrun sous la barre des 3 heures de jeu. Mais quelque part, compte tenu des intentions du jeu, est-ce que cette courte durée de vie pose vraiment un problème ?

MiniatureÀ vrai dire, Shadow of the Colossus a des problèmes autrement plus irritants en matière de contrôles. Qu'on se le dise: la maniabilité est simple et rapide à assimiler, cette version PlayStation 4 proposant en plus plusieurs configurations pour satisfaire tous les joueurs. Le problème, c'est que la précision des contrôles n'est pas toujours au rendez-vous. En particulier, on pourra observer de temps à autre des problèmes de collision et d'escalade, Wander ayant parfois du mal à s'agripper ou même simplement à rester en place: si un colosse gesticule pour éjecter Wander, cela va non seulement le secouer dans tous les sens telle une ragdoll autour de sa prise, mais cela peut aussi le déplacer légèrement (quand bien même on ne le lâche pas sa prise et qu'on dispose d'assez d'endurance), si bien qu'il faudra parfois ré-ajuster sa prise en étant face à un point faible. On notera aussi que certains reliefs ou constructions donnent parfois l'impression de pouvoir être escaladés sans que cela soit le cas. Enfin, bien qu'il soit possible (et parfois nécessaire) de sauter en arrière depuis une surface escaladée, cela n'est rendu possible que si la caméra se trouve dans un angle précis, de quoi occasionner quelques situations frustrantes. Rien de criminel dans l'ensemble, mais ces petits soucis se rappelleront au joueur tôt ou tard.

MiniatureFinalement, le seul aspect ludique où Shadow of the Colossus semble avoir pris un petit coup de vieux, c'est dans sa façon d'ordonner l'affrontement des colosses. Alors que les Terres Interdites peuvent être entièrement visitées (ou presque) dès le début du jeu, il ne sera pas possible d'affronter un colosse en particulier avant que Dormin ne l'ait évoqué, même si l'on se rend sur les lieux où la créature apparaît en temps normal. Un choix qui n'est pas vraiment choquant étant donné que la non-linéarité n'était pas une préoccupation majeure à l'époque du jeu original, mais qui pourra sembler un peu curieux étant donné que le level design des Terres Interdites rend la non-linéarité tout à fait possible, voire souhaitable. Le remake aurait pu être l'occasion de remettre en question ce choix afin de renforcer le côté hostile des Terres Interdites et la solitude de Wander, voire même d'intégrer les 8 colosses qui n'ont pas été retenus dans le jeu original (à l'origine, 24 colosses étaient prévus sur la version PlayStation 2). Une telle modification du jeu d'origine serait toutefois peut-être passée pour un blasphème envers le titre original, d'autant plus que les développeurs de Bluepoint Games tiennent Shadow of the Colossus en haute estime... et ils ne sont certainement pas les seuls. Et cela ne fait aucun doute que Shadow of the Colossus pourra encore conquérir de nombreux joueurs à la recherche d'évasion et de mystère.

Conclusion

Shadow of the Colossus a beau avoir été conçu au milieu des années 2000, l'expérience qu'il propose n'a rien perdu de sa pertinence. Ce serait même plutôt l'inverse: alors que les jeux d'action/aventure modernes font exploser le compteur d'heures de jeu à grand renfort de monde ouvert, de contenu annexe et de (sous-)systèmes de jeux, la sobriété adoptée par Shadow of the Colossus pour mieux servir son atmosphère singulière font l'effet d'une bouffée d'air frais - si, bien sûr, vous n'avez pas connu l'original. Cette version PlayStation 4 propose en sus une réalisation à la hauteur du support, offrant de superbes décors et panoramas. Finalement, les quelques affres du temps que l'on peut lui trouver sont soit mineurs (le manque de précision des contrôles), soit subjectifs (l'ordre imposé pour affronter les colosses est-il vraiment pertinent ?). Même 12 ans après sa sortie originale, Shadow of the Colossus demeure une expérience qui mérite le coup d'oeil.

Points forts

  • Un jeu minimaliste
  • Une atmosphère unique
  • Beau à regarder, tant artistiquement que techniquement
  • Une OST d'exception
  • L'inventivité des affrontements contre les colosses

Points faibles

  • Un jeu minimaliste
  • Le manque de précision occasionnel des contrôles
  • L'ordre d'affrontement des colosses imposé

Conditions de test: cette critique a été rédigée après un peu plus de 20 heures de jeu sur PlayStation 4 Pro.

Shadow of the Colossus (Remake)

Critique rédigée par JefGrailet
Publié le 16/04/2018 à 20:23

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