La sortie d'un nouveau Street Fighter est toujours un événement, en bien comme en mal. Street Fighter II en 91 a été un immense phénomène sur SNES, popularisant le genre auprès des joueurs. Street Fighter III en 97 a fait hurler les joueurs pour son conservatisme de la 2D et son casting, avant d'être réhabilité bien plus tard par Third Strike. Street Fighter IV signe un retour en fanfare en 2009 avec la transition en 3D de la série et l'inclusion du online, puis Street Fighter V sera incendié en 2016 pour un lancement des plus maigres et des vagues promesses de suivi, malgré un gameplay d'une grande solidité. Une alternance qui n'augure que du bon pour ce sixième épisode. Et, pour notre grand bonheur, il ne déroge pas à la règle: fort de 5 ans de suivi et de peaufinage du mouton noir, Capcom vient de sortir l'un des meilleurs jeux de combat de ce XXIème siècle. Oui, rien que ça.
Ce qui marque quand on voit tourner le jeu, ce sont les animations. Non pas qu'elles étaient mauvaises dans les jeux précédents. Mais Capcom continue de passer un cap supplémentaire dans la fluidité et le détail des mouvements. Tout s'enchaîne à la quasi perfection, les rares erreurs de raccords comme sur les contres sont dues à des questions de lecture de jeu, et ne se remarquent qu'en visionnage au calme. Chaque coup est porté avec l'entièreté du corps pour bien transmettre la puissance de la frappe, du torse jusqu'aux extrémités, les keyframes véhiculent le mouvement, les visages s'expriment à chaque occasion… à cela s'ajoute un excellent travail sur les VFX, soulignant merveilleusement les chocs et les différents effets comme la parade et les attaques spéciales. Allez, grognons un peu: Street Fighter V était plus clair dans ses indications de Super Armor, d'EX et autres effets spéciaux, aidé par sa D.A très caricaturale et colorée, là où ce nouvel épisode lorgne vers un photoréalisme qui n'aide pas toujours à comprendre parfaitement ce qui se passe à l'écran. Mais on va être obligé de reprendre les superlatifs en parlant du sound design, qui là aussi a bénéficié d'un soin qu'on entend que trop peu. Les chocs, les gardes, tout s'entend et donc se ressent différemment. Les Perfect Parry ont un son si distinctif et agréable que nos pupilles s’écarquillent devant la situation. On peut songer qu'il y a trop de louanges dans ces lignes: c'est le problème de tester les jeux si proches de leur sortie. Peut-être que les prochains Tekken et Mortal Kombat nous feront relativiser la réussite de Street Fighter sur ces aspects. Peut-être. En attendant, on profite de la crème de la crème de la scène du jeu de combat en terme de combats.
À chaque Street ses systèmes spécifiques. On relâche dans la nature le système V (Trigger, Skill, Reversal) de l'épisode précédent, et on prend en main le système Drive. Sous notre barre de vie s'affiche désormais une jauge "Drive". C'est désormais dans celle-ci qu'on puise pour faire les attaques EX, et non plus dans celle des Critical Arts. Par ailleurs, celle-ci s'accumule jusqu'à 3 Charges, et chaque personnage du jeu dispose de 3 Spéciales, consommant 1, 2 ou 3 barres. Désormais, en appuyant sur L1, ou Gros Poings + Gros Pieds, on lance un Drive Impact, une attaque conférant une Super Armor résistante à deux coups, immobilisant l'adversaire si elle fait mouche. Et quand bien même l'adversaire la bloque, il recule sous le choc, et si par malheur il touche le coin, il perd sa garde, l'ouvrant à de potentiels combos. Puissante, cette attaque est fort heureusement bien équilibrée. Vulnérable aux choppes, son long temps d'exécution permet à l'adversaire de briser la Super Armor grâce à des coups rapides, et surtout… on peut contrer un Drive Impact par un autre Drive Impact ! Le premier qui lance est ainsi le perdant d'un ralenti chargé de tension, et se voit retirer une grande partie de sa Drive Gauge, et gare à celui qui épuise sa jauge: outre l'impossibilité d'utiliser les éléments du système Drive, le joueur prend désormais des chip damages sur sa garde, et peut être sonné par l'adversaire si il frappe assez fort avant que la jauge ne se remplisse ! La philosophie "high risks, high rewards" est au cœur de la mécanique Drive. Car à côté de cela on trouve le Drive Parry. Avec L2, ou Moyen Poing + Moyen Pied, on rentre dans une pose aux effets bleutés qui, tant qu'elle est maintenue, bloque n'importe quel coup de l'adversaire. Projectiles compris. Drive Impact compris (et sans recul du coup). De plus, pour qui saura avoir le bon timing, un Perfect Parry peut être déclenché et offre au défenseur un avantage de frame suffisant pour infliger une lourde punition à l'attaquant. Mécanique dans la mécanique, le Drive Rush permet, en pressant deux fois Avant, de courir rapidement sur l'adversaire et faire fondre la distance entre les combattants suite à certains coups spéciaux ou depuis la pose de Drive Parry.
Quand on prend un peu de recul, on se rend compte que Street Fighter VI parvient à fusionner les mécaniques de Third Strike (le parry), Street IV (la Focus Attack, ici plus proche de Drive Impact), et de Street V (les V-Trigger qui servaient de buffs, d'install comme on dit dans le jargon, sont désormais une des Spéciales de certains personnages, comme pour Juri ou Guile). Un maxi best of de la série, dans une forme cohérente, amusante et équilibrée : le joueur qui cherchera à tout bloquer avec le Parry pour ensuite punir se rendra vite compte qu'il fait moins de dégâts que s' il passe sous la garde de son adversaire. Utiliser le Drive Impact dans toute les situations possibles est amusant, mais quand l'adversaire lit notre jeu devenu prévisible et esquive l'attaque d'un petit saut, on est bien embêté. Le Drive Rush est pratique, mais le sortir out of the blue coûte cher et est facilement contrable. Savoir exploiter tout ça, c'est très bien, mais un joueur qui maîtrise les fondamentaux nous mettra misère sans utiliser un seul de ces nouveaux systèmes. C'est ce qui rend le nouveau mode de contrôle si fort.
Car Street Fighter VI est bien décidé à séduire le plus de monde, anciens comme nouveaux. En plus du mode de contrôle à 6 boutons, emblématiques de la série, on voit désormais un mode Moderne à 4 boutons et même un mode Dynamique en auto-combo réservé aux parties locales, parfait pour faire passer la manette chez les plus débutants pour une soirée. Revenons- en au mode Moderne, qui est non seulement autorisé dans les parties classées mais en plus à la Capcom Cup. Fini les différences Pieds/Poings: on a une touche pour les coups faibles, une touche pour les coups moyens, une touche pour les coups forts et une touche pour les attaques spéciales. Oui, d'une simple pression de touche, on peut désormais lancer un Hadoken plutôt que de devoir faire un quart de cercle puis presser le poing, et selon la touche pressée, le coup part plus ou moins lentement avec les dégâts correspondants. Cette subtilité disparaît en Moderne, au profit donc d’une exécution bien plus simple. En plus de cela, en pressant R2, le jeu nous joue des combos automatiques - toujours les mêmes, pour nous aider à profiter d’une ouverture. Hérésie pour certains, salvateur pour d’autres, ce mode permet autant d’ouvrir le jeu à un tout nouveau public qui était effrayé par la complexité des commandes que de créer une rage immense aux joueurs en Classique qui se font ratatiner par un Ken qui n’a désormais besoin que d’une bonne lecture de jeu pour punir son adversaire d’un Shoryu. Et ce n’est pas la seule preuve d’ouverture que fait le jeu à son public, puisque non content de séduire les débutants, il vient aussi séduire les joueurs intéressés par le solo.
Mainte fois montré durant la communication du jeu, le mode World Tour est sans conteste le mode solo le plus travaillé d’un jeu de Versus. Loin, très loin d’un mode arcade ou d’une campagne cinématique entrecoupés de combats, il s’agit ici d’un Yakuza-like. Une fois notre héros créé, on se balade à travers la ville pour résoudre différentes missions, on se fait attaquer par des gangs, on prend de l’Expérience, et on défie les passants dans la rue pour prendre encore plus d’Expérience. Les différents personnages du casting servent de “Maîtres” auprès desquels on va apprendre un style de combat et des techniques, et il sera possible à la fin de mélanger tous ces coups pour créer un hybride. Vous rêviez de jouer une sorte de Zangief avec les coups de pieds de Juri pour ensuite enchaîner sur un Spinning Bird Kick ? C’est possible. Une couche de light-RPG, avec un petit arbre de talent et des statistiques liées à vos vêtements, vous aidera en cela. Très amusant au début, ce mode perd assez vite de son souffle: écriture peu passionnante, quêtes secondaires basiques, faible variété d’ennemi… Il faut vraiment voir ce mode comme un gros bonus, plutôt que comme un argument décisif pour un achat, au risque d’être déçu. Mais Capcom a plus d’un tour, et d’un mode, dans son sac pour faire plaisir à ses joueurs.
En plus du mode En Ligne et du World Tour, il y a le classique Arcade, où l’on suit une courte histoire d’un des personnages, ponctuée d'illustrations de l'artiste Bengus. Le mode Extrême permet de pimenter les matchs en ajoutant un taureau et en changeant les règles: plutôt que de réduire la barre de vie de l’adversaire à zéro, il faut réussir à exécuter des commandes indiquées à l’écran par exemple. Le mode Entraînement est bien évidemment là, et est plus complet que jamais. On croule sous les options pour simuler telle situation, et il est désormais possible d’afficher directement les frames à l’écran, permettant de savoir si un combo est possible avec suffisamment d’entraînement ou non. On peut trouver des bornes dans le lobby pour jouer à d’anciennes productions de Capcom comme Street Fighter II ou Final Fight, et il est enfin possible de se défier en duel sans devoir farfouiller quelques obscurs menus. Quand on ressort de Street Fighter V, on est même perdu devant l’efficacité et le soin apporté à cette interface. Un jeu peaufiné jusqu’aux détails.
Pointer que la direction artistique de Street VI tranche radicalement avec celle des deux opus 3D, c’est comme dire que l’herbe est verte: fini le rendu animation 3D et les corps de cire, on est ici sur du photoréalisme bardé de tags de peinture et graffitis. Plus de 20 ans après, Street Fighter revient au hip-hop, et met plus que jamais l’accent sur la rue dans ses menus, ses arènes et son mode World Tour. Ce n’est pas le seul parallèle à faire avec Street Fighter III: avec Luke en figure de proue, cet épisode fait le pari de venir reléguer les indécrottables Ryu et Ken à une place plus en arrière-plan. C’est aussi la première fois que, dans la chronologie narrative de Street Fighter, on s’aventure au-delà des évènements de Third Strike. Les graines ont mis du temps à pousser, mais on voit là une génération de développeurs qui profite d’avoir les commandes pour rendre hommage à ce titre mythique, qui reste au moins dans la mémoire collective pour le Daigo Parry.
À chaque itération d’un jeu de combat, on connaît la chanson sur les personnages: des anciens font leur retour, des nouveaux font leur apparition, et tout le monde éructe de joie ou de colère devant ce ballet, selon si l’on trouve ou non son main. Ici, on a 18 nouveaux personnages, soit un peu plus que le rachitique lancement de son aîné. Les 8 combattants de Street Fighter II font leur retour, et sont plus amusants que jamais: outre des relookings de bon aloi, chacun a vu ses mécaniques légèrement modifiées pour leur apporter plus de profondeur. Blanka peut désormais lancer ses petites poupées, les blanka-chans, et en les électrifiant elles foncent droit sur l’adversaire, ouvrant la porte à de nouveaux setups et combos. Chun-Li a une nouvelle pose lui offrant 6 coups spéciaux, et Honda gagne une technique lui permettant de foncer sur l'adversaire et d’apporter plus de pression, parce que Honda n’a jamais assez de pression. À côté de nos 8 champions se tiennent 3 autres anciens: Juri, personnage récurrent depuis Street Fighter IV, Dee Jay, plus Jamaïcain et musicien que jamais, et enfin Cammy, dont le relooking a fait trembler (de bonheur) la communauté Street Fighter. Mention spéciale à Luke, dernier personnage de Street Fighter V, qui fait donc la jonction ici. Cela laisse donc la place à 6 nouveaux: Lily, une mexicaine disciple de T-Hawk qui se bat grâce aux esprits du vent. Kimberly, disciple de Guy, qui est là pour apporter une touche de ninjapopstar comme elle se décrit. Marisa, une colosse italienne dont personne ne ressort vivant de ses uppercuts. Jamie, un combattant de l’école du poing ivre, cherchant à se hisser à la hauteur de Yun et Yang avec une mécanique de boisson. Manon, une danseuse étoile championne de judo, et également mannequin. Enfin, JP, le nouveau méchant russe aux psychopouvoirs, qui rend déjà fou les joueurs avec sa choppe spéciale à distance.
On aura plus ou moins d’affinité avec le style et le gameplay de chacun. Mais ce qui est observable, c’est que tous sont réussis, avec un vrai concept qui marche. Le temps fera le tri entre le bon grain et le millésime. Qui sera laissé sur le bas-côté et qui reviendra en force. Sur ce point, il est amusant d’observer les 4 personnages promis en première année: l’indécrottable Akuma, le tournoyant Rashid qui avait marqué le cast de Street V par sa présence, Ed le psychoboxeur qui avait fait pourtant bien moins d’émule, et la petite nouvelle A.K.I. Des choix variés donc, et assez jeunes, avec deux belles têtes de gondole pour vendre le Season Pass. Car oui, Street Fighter VI aura un système de saisons payantes pour obtenir les nouveaux personnages. Et ici, aucune possibilité de grinder pour les acheter avec de la Fighting Money comme nous le faisait miroiter l'épisode précédent. Tout au plus on débloquera de temps en temps un ticket d'essai d'une heure pour les personnages non obtenus. Encore flou pour l'instant, ce système va probablement s'insérer dans le Battle Pass, car il semblerait qu'aucun jeu en ligne moderne ne puisse se passer d'un Battle Pass. Différents éléments qui nous rappelle que malgré tout le soin et l'amour du jeu vidéo dont leurs jeux font preuves, Capcom reste une entreprise qui aime les sous, et qui veut les nôtres. Il y a pire manière de nous les soutirer qu'en sortant un excellent jeu cela dit, et tous ces systèmes de Season Pass et Battle Pass étant optionnels, seuls ceux qui veulent jouer tout le monde pendant des heures et avoir de nouveaux slips pour leur avatar mettront la main au porte-monnaie.
C’est très simple: Street Fighter VI est une immense réussite, et une sortie absolument incontournable du paysage du Versus Fighting. Pour qui aime ce genre, il n’y a aucune bonne raison de ne pas prendre le jeu. Riche en contenu, fort en mécaniques, solide dans sa technique comme dans son gameplay, cet épisode ne laisse rien au hasard avec un niveau de finition rarement vu dans le jeu vidéo. Que vous soyez intéressé par la scène e-sport avec des dizaines d’années d'expérience sur Street Fighter ou que vous préférez faire des matchs entre amis sur le canapé, bière posée sur la table basse devant, sans savoir ce qu’est “un bas gros poing”, cet épisode vous accueille et saura faire bien plus que vous contenter. Capcom a ici une nouvelle référence des jeux de combat, et rien n’est dit que tous sauront l’égaler à l'avenir.
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