Passage en revue d'une milice Impériale. Date et auteur inconnus.
Aussi déterminante qu'elle soit pour l'histoire du Japon, la période du Bakumatsu n'est pas celle qui est le plus mise en avant dans les œuvres modernes. La période Edo a bien plus les grâces des artistes, quitte à venir déteindre sur les périodes précédentes. Quand on observe les deux, on comprend vite pourquoi : la période Edo survient juste après l'une des guerres de clans les plus intenses du Japon, le Sengoku Jidai, et qui symbolisera bien vite le firmament de la classe samouraï et de ses valeurs d'honneur. Samouraïs qui poseront le sabre pour prendre la plume, et ouvriront une riche période artistique et littéraire pour leur pays, avec une recherche du beau et de l'harmonie. Tout cela dans un environnement économique et agraire confortable, transformant alors ces guerriers en fonctionnaires de leurs clans et du gouvernement. Bien évidemment cela ne durera pas, et très vite ce début de l'ère Edo deviendra un Âge d'Or auxquels les Japonais de la fin de cette même ère aspireront à retourner plutôt que d'aller de famines en révoltes.
L'influence culturelle qu'a eu cette période est énorme, et la fascination qu'elle engendre est mondiale : la majorité des œuvres qui souhaitent s'inspirer du Japon non-contemporain vont directement piocher dans la période Edo, sinon dans les 700 ans d'histoire de la classe des samouraïs. Cela a commencé avec l'ouverture du Japon et l'importation d'éléments culturels et artistiques comme les estampes du genre ukiyo-e ou la poterie d'Edo, qui verra fleurir le Japonisme en France et façonnera la représentation typique du Japon par les étrangers. Le Japonisme aura d'ailleurs un impact majeur sur la naissance de l'impressionnisme français, guidant les artistes vers une voie alternative à ce que l'on appelle l'Académisme et ses strictes règles sur les sujets de peinture et l'exécution d'un tableau en étudiant les œuvres d'Hokusai, d'Utamaro et d'Hiroshige. De nos jours, un très bel exemple de cette fascination d'Edo est Ghost of Tsushima du studio Sucker Punch, qui sous prétexte de l'invasion mongol de 1274 (sous l'ère Kamakura) vient invoquer toute l'imagerie poétique des samouraïs d'Edo. Et ne leur jetons pas la pierre puisque les Japonais font pareil : le manga Kenshin le Vagabond, dont les évènements se déroulent sur le Bakumatsu et l’Ère Meiji avec un sens du détail remarqué, fait la part belle aux affrontements de sabre pourtant à une époque où très vite les samouraïs se sont portés sur les armes à feu (Sakamoto Ryoma était très attaché à son revolver Smith & Wesson N°2). Plutôt que de dénigrer les œuvres, voyons à travers elles à quel point l'héritage d'Edo domine la vision artistique et culturelle autour de ce pays.
Le Bakumatsu n'est rien de tout cela : c'est une période de profond chaos, où le Japon va être forcé de se réinterroger sur lui-même en tant que nation, et donc dans sa culture. L'honneur des duels au katana est troqué par des assassinats politiques en pleine rue par arme à feu, les façons de faire occidentales vont venir supplanter sans réelles considérations celles japonaises, que ce soit dans la manière de s'habiller, de peindre, d'organiser une armée ou de construire un pont. Les usines remplacent les cerisiers, les politiciens véreux supplantent les samouraïs. C'est une période courte, sombre et très complexe de l'histoire du Japon. C'est aussi une période charnière, qui va créer un nationalisme extrêmement fort. Très vite, le Japon passera de chiot paniqué au loup dans la bergerie asiatique, avec de fortes velléités de conquêtes pour sustenter à ses appétits de croissance. Comprendre le Bakumatsu, c'est comprendre le Japon jusqu'à sa défaite lors de la Seconde Guerre Mondiale où, encore une fois, il a dû se réinterroger en tant qu’État.
L'écriture de cet article a nécessité beaucoup de lecture. Il serait absurde de dire que Wikipédia n'a jamais été ouvert, puisque c'est la difficulté de comprendre cette période par la simple lecture de ces articles qui a donné naissance à cette chronique. Ça, et l'incapacité habituelle de la Team Ninja à raconter de manière claire et intelligible son histoire et ses personnages à ceux qui ne disposent d'aucune connaissance sur la période traitée. Chose d'autant plus dommage que derrière cette confusion, il y a une vraie maîtrise des sujets et un sens du détail assez remarquable.
Prenons un exemple de Nioh 2, où l'on peut combattre dans un château en flammes face à une femme-chatte à gros seins sur roues avec une armure qui a une énorme crête solaire et un sabre énorme portant l'amusant nom de "lame papillon". Et bien, sachez que Kasha est un yokai, un démon du folklore japonais dont le nom veut dire "chariot de feu", est souvent représenté sous les traits d'un être mi-humain mi-chat qui vole le corps des morts lorsque ceux-ci ont accomplis des actes profondément mauvais. Elle apparaît à la mort d'Oda Nobunaga qui a commis nombre de crimes de son époque (comme le massacre du mont Hiei, tenu par des bouddhistes). L'armure à crête solaire, qui est en fait celle de Toyotomi Hideyoshi, existe vraiment et faisait honneur à son surnom "Béni du Soleil". Quant à la lame, c'est l'Odachi Hotarumaru qui est visible au temple d'Aso et dont la légende veut que la lame ébréchée ait été réparé par des lucioles durant la nuit. Ah, et si le personnage de Toyotomi Hideyoshi (qui est présent dans le jeu) est accompagné par l'esprit du singe, c'est parce que son surnom était "le Singe Serviteur" en référence à sa laideur. Ça fait beaucoup de détails pour un jeu dont le premier principe c'est d'aller taper des démons japonais en faisant des pirouettes avec ses épées (la forte poitrine, par contre, c'est made in Team Ninja).
Cependant, la narration chez Team Ninja peut être tellement décousue pour qui ne connaît pas la période que l'on ne prête difficilement ne serait-ce qu'un regard aux riches détails que les développeurs ont glissés dans leur jeu. C'est de ce désir de pouvoir passer outre l'énorme maladresse des développeurs et de pouvoir pleinement profiter de leur amour pour l’authenticité (toute relative : ils assument créer un jeu vidéo avec toute la fantaisie que cela peut introduire) que, ultimement, cet article existe.
Parmi les lectures françaises de référence, il y en a une qui a été particulièrement utile : Bakumatsu, la fin des Shoguns de Frédéric Laroche. L’œuvre retrace des bases de la société japonaise en 1853 jusqu'à la rébellion de Satsuma en 1878. Son site dédié permet de consulter en couleur les annexes et les figures, la sitographie de l'auteur et aussi des liens pour se procurer l'ouvrage. Pour retracer l’œuvre et les méthodes du Shinsengumi, c'est Shinsengumi : le Corps d’Élite du Shogun de Julien Revol qui a servi de base. Pour ceux qui souhaitent aller plus loin, Frédéric Laroche a un ouvrage La rébellion de Satsuma, dédié à cette courte épopée qui signera la fin définitive des samouraïs. De même, pour qui souhaiterait approfondir l'histoire de la mission française Chanoine au Japon, Emmanuel Faubry a écrit un ouvrage dédié L'engagement des officiers français dans la fin du shogunat et la restauration de Meiji. Aussi, de toutes ces lectures s'ajoute les multiples pages Wikipédia françaises, mais surtout anglaises et même parfois japonaises (et, pour le Kotetsu, espagnole). L'ensemble est structuré de manière chronologique. L'objectif du présent article n'est certainement pas de faire une thèse sur la période, aussi les biographies ont été réduites au plus simple pour comprendre la position des acteurs de cette période et se concentrer sur les actes significatifs.
Et maintenant, plongeons ! Plongeons dans ce chaos politique, cette xénophobie profonde qui anime le Japon ! Plongeons dans cette terreur qui secoue ces hommes, réalisant le fossé technologique qui s'est creusé entre eux et l'Occident ! Plongeons dans ces machinations qui vont transformer le Japon pour le siècle à venir, et qui frappera le monde d'effroi en mettant à genou l'impériale flotte russe. Plongeons dans ce peuple qui, craignant de perdre son identité à cause d'une invasion occidentale, s'occidentalisera plus vite que tout autre et ira envahir l'Asie. Plongeons dans ce dernier râle shogunal, d'un gouvernement en fin de vie qui aurait peut-être pu se sauver, s'il avait su placer le bon homme plus tôt.
Note n°1 - À la fin de chaque page se trouve la légende des figures de ladite page, excluant celles qui en ont déjà.
Note n°2 - La création de l'article étant liée à l'existence du jeu vidéo Rise of the Ronin, les personnages qui ont été mis en avant par la communication et sur le site internet sont donc soulignés.
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Légende :
[1] La japonaise. Claude Monet, 1876.
[2] Bataille de Port-Arthur depuis un navire japonais. Publié par Kimura Toyokichi, XXème siècle.
[3] Cinématique d'introduction du yokaï Kasha. Capture de l'auteur.
[4] Première de couverture de "Bakumatsu : la fin des Shoguns". Frédéric Laroche, Juin 2018.
[5] Un bal au Rokumeikan de Tokyo. Toyohara Chikanobu, 1888.
"Fête en hiver" par Utagawa Toyoharu, fin XVIIIème.
La caste la plus célèbre de l'histoire du Japon. L’idée générale du Samouraï dans la culture populaire est celle du guerrier armé de son sabre courbe appelé Katana, rédigeant des poèmes haikus sur les oiseaux, les saisons et les fleurs et s’ouvrant le ventre pour l’honneur lors d’un Seppuku. Cette vision comporte du vrai, mais est aussi un peu incomplète.
Le plus simple est d’assimiler la caste des samouraïs au nobles français du XVIème siècle : il s’agit de guerriers certes, mais surtout d’hommes de lettres, d’artistes, de penseurs, de commerçants et enfin de politiciens. Ce sont eux qui possèdent le plus de pouvoir décisionnel au Japon et participent directement au fonctionnement de l’État, tout en représentant une toute petite partie de la population du pays (moins de 10% durant le Bakumatsu).
Si les samouraïs appartiennent à un clan, il est cependant possible d'acheter son titre de samouraï (ce que fera la famille de Sakamoto Ryoma grâce à aux revenus de leur brasserie de saké). Un samouraï sans clan est appelé Rônin. Au total, les samouraïs représentent 7% de la population à la période Edo. La quasi-totalité des acteurs de cet article en sont membres. Le Bakumatsu n'est pas la révolution d'un peuple, mais la révolution d'une caste.
Le daimyo est un seigneur et gouverneur d’une province militaire. Il s’agit des samouraïs les plus puissants et importants politiquement du Japon, à la tête d’un clan. Assujettis au gouvernement et devant respecter certaines règles, ils ont malgré tout un pouvoir au sein dudit gouvernement.
La position de daimyo est héréditaire, mais il convient de noter que les adoptions existent à cette époque, et sont courantes. Notamment en cas d'absence d'héritier mâle, le futur mari de la demoiselle du clan pouvait prendre son nom et devenir alors l'héritier (le mukoyoshi). L'adoption s'est répandue dans toute la société japonaise lors de la période Edo, et les élèves des écoles de Kenjutsu prenaient parfois le nom de leur maître pour les honorer et perdurer leur savoir. Ainsi, tout au long des illustrations, il ne faut pas se choquer de la présence régulière du nom "Utagawa", ni s'imaginer une famille traditionnelle à la lignée particulièrement féconde en artistes : ils viennent tous de l'école Utagawa et ont changé de nom pour faire partie de la famille de leur maître.
Le Shogun est le chef militaire du gouvernement japonais. Il s’occupe également des affaires politiques du pays, et édicte les lois au nom de l’Empereur, lequel approuve. Il s’agit du dirigeant direct du pays, l’Empereur n’étant qu’un dirigeant symbolique jusqu’à la Restauration Meiji.
Le premier Shogun est le seigneur de guerre Minamoto no Yoritomo. Durant la Guerre de Genpei, il consolida sa capitale de clan Kamakura et fonda une administration parallèle à celle de la Cour Impériale pendant que ses frères combattaient et soumettaient terres et guerriers. L'Empereur voyant que la situation lui échappait, tenta de se reposer sur le guerrier et frère de Yoritomo, Minomoto no Yoshitsune. Malheureusement il fut acculé par les armées de son frère et se suicida. Son frère mis alors en place un régime militaire, le Bakufu, qui fit du Japon de cette époque un État bicéphale, la Cour de l'Empereur n'ayant pas perdu tout ses pouvoirs, ni sa légitimité. Aujourd'hui, la légende de Minamoto no Yoshitsune est célèbre au Japon, et si ce dernier est très apprécié et vu comme un héros, son frère est bien plus décrié.
Il est considéré comme un être divin. Le premier Empereur Jimmu serait le fils d’Amaterasu, déesse du soleil dans la religion d’État Shinto (rappelons que les Japonais appelle leur pays Nihon, qui se traduit littéralement par « Pays du Soleil Levant »), mais aussi petit-fils du dieu Izanagi et de la déesse Izanami, le couple créateur du monde et du Japon. Tous les Empereurs sont sensés remonter jusqu’à Jimmu, et sont donc de Droits et d’Ascension Divine. Le système féodal japonais, le Bakufu, les cantonnent à un rôle aux fonctions limités, bien que le Shogun est censé suivre les ordres de l’Empereur.
Plus haut, on parle de la pratique de l'adoption dans les familles japonaises. Cette pratique n'a pas court dans la lignée de l'Empereur. Cette lignée est agnatique : chaque membre est le descendant de l'Empereur Jimmu par son père et le père de son père. Ainsi, chaque Empereur qui réclame le trône de Chrysanthème est, selon la mythologie, descendant d'Amaterasu et donc de Droit Divin. Aujourd'hui seuls les hommes peuvent régner (actuellement Naruhito, 126ème Empereur du Japon), bien qu'il y ait eu quelques femmes Impératrices dans l'histoire du Japon. Le refus moderne d'ouvrir le trône à une femme n'est pas dû à un conservatisme misogyne qu'à cette forte tradition agnatique (ininterrompu depuis 2 500 ans selon les mythes, 1 500 ans selon l'historiographie de la lignée). Le principe agnatique couplé à la monogamie a fortement raréfié les branches de la famille impériale, aussi la descendance d'une Impératrice moderne viendrait rompre avec cette symbolique lignée agnatique, à moins que l'Impératrice épouse un homme de sa famille de la lignée (ce qui par ailleurs est déjà arrivé).
Afin de soulager au maximum l'article, tous les titres de classe, de gouvernance ou de noblesse n'ont pas été introduits ici. Il faudrait en effet présenter plus en détails le fonctionnement du Bakufu comprendre la différence entre le Roju et le Tairo, et ce n'est certainement pas le but de cette chronique. Aussi, ces deux postes ont été abusivement remplacés par celui de "Premier Ministre", afin de facilement se représenter la position hiérarchique que représente ces tâches au sein du Bakufu. De même, le fonctionnement de la Cour n'étant pas explicité ici, les positions comme celle du Kuge ont été ici remplacé par "membre de la Cour", et leur pendant hiérarchique chez le Bakufu par "membre du gouvernement". L'auteur et le lecteur ont bien assez à faire avec tous les éléments présents, ne cherchons pas à nous noyer dans les postes et systèmes de gouvernement d'Edo et les différences de fonctionnement de l'autogérence entre les territoires dont, franchement, nous en avons rien à faire ici.
Nom du système féodal japonais. Dans le Bakufu, le pouvoir politique et militaire est aux mains du Shogun, et le pouvoir Divin dans les mains de l’Empereur. Dans les faits, c’est le Shogun qui dirige le pays. Dans les formes, il doit recevoir l’aval de l’Empereur. Ce système a initialement été mis en place de force par le samouraï Minamoto no Yoritomo en 1192, et au total 3 bakufus se succèderont, le dernier étant celui d’Edo (ancien nom de la ville de Tokyo), tenu par le clan Tokugawa en 1603. La crise du Bakumatsu se traduit littéralement par « Fin du Bakufu », et sera suivi par la période de la Restauration Meiji, dans laquelle les pouvoirs sont repris par l’Empereur. Cela marque la fin d’un système vieux de plus de 675 ans.
À traduire par « Fermeture du pays ». Promulgué en 1650 par le shogunat, elle a pour but de venir fermer le pays aux étrangers et à toute influence extérieure. L’objectif derrière cela était de contrôler plus efficacement les différents daimyos assurant qu’ils ne s’enrichissent pas avec des puissances étrangères (occidentales, mais aussi avec la Chine et la Corée), ainsi que de protéger le pays des influences culturelles et religieuses de venu de l’extérieur (tel que le christianisme par les missionnaires, et les relations avec la Chine, grande puissance culturelle d’Asie).
Les Tokugawa sont la famille dominante au Japon. Suite à la victoire de Ieyasu à la bataille de Sekigahara, il força l’Empereur à le reconnaître Shogun et à lui confier la quasi-intégralité des pouvoirs, lui laissant uniquement les symboles religieux. Fort de ses victoires militaires et de cette nouvelle autorité, il découpa ensuite les provinces du Japon pour affaiblir ses adversaires et récompenser ses alliés, tout en se taillant la part du lion. Des lois extrêmement strictes sur la militarisation des domaines furent mises en place. Des lois sur les déplacements empêchaient les japonais de se déplacer d’une région à une autre sans autorisation du gouvernement, et les daimyos devaient laisser leurs familles en otage à la Capitale la moitié de l'année. Que l’on ne s’y trompe pas : derrière le raffinement et l’héritage artistique somptueux de la période Edo s’y trouve une dictature menée d’une poigne de fer. L’application du Sakoku permit de renforcer encore le contrôle des Tokugawa sur l’économie du pays, elle fut aussi responsable de famines régulières. Couplé à la baisse des rendements miniers (notamment les mines d'argent), les Tokugawa et le Japon s’appauvrirent et durent mener une série de grandes réformes en 1837 qui leur aliéna le peuple et les samouraïs, au point de devoir renoncer à certaines d’entre elles. Lors de l’arrivée de Perry, l’autorité du Bakufu était déjà fortement affaiblie, les évènements à venir ne feront que finir de la piétiner.
Les Shimazu (qui seront aussi appelés les Satsuma, du nom de la province qu’ils dirigent), disposent d’une position géographique privilégiée : en sécurité sur la presqu’île de Kyushu, il n’a pas été possible pour Ieyasu de découper de manière nette et claire le territoire. Empli de marais et de montagne, c’est un lieu des plus compliqués à envahir, permettant de sécuriser la terre des invasions. Enfin, il s’agit de l’une des terres les plus proches de l’île de Tsushima, et donc de la Corée, facilitant les échanges, et avec contrôle du canal de Shimonoseki permettant d’accéder à un côté ou de l'autre de l'île principale du Japon, Honshu. En 1609, le Shogun demanda aux Shimazu d’envahir les îles Ryukyu au Sud afin de s’assurer le contrôle de la mer de Chine (les îles Ryukyu se retrouveront à la fois vassaux des Ming chinois et des Shimazu japonais, une position très délicate).
Prenant le titre de daimyo en 1851, Shimazu Nariakira entama une politique de modernisation de sa région. Études des textes étrangers, importation de fusils, constructions de navires occidentaux, envoi d’étudiants dans les centres d’entraînement naval de Nagasaki pour apprendre des Hollandais… L’objectif était de renforcer au maximum le clan en profitant de la non-autorité du Bakufu dans cette région du Japon. Aligné au Sonno Joi, les Satsuma souhaitent la fin du Bakufu et prône un retour de l’Empereur au pouvoir tout en sachant que le Japon est bien trop en retard pour chasser les Occidentaux. Deux des amis et hommes de main de Nariakira seront Saigo Takamori et Okubo Toshimichi, deux des grands réformateurs du Japon.
Le clan Mori est le clan qui a le plus souffert de sa défaite à Sekigahara. Du deuxième clan le plus riche du Japon, il ne lui en restera plus que le quart après le partage réalisé par Ieyasu, ne leur restant que la région de Choshu. À chaque cérémonie du Nouvel An, les hauts placés du clan se présentaient devant le daimyo et lui demandaient s'il "était venu le temps de commencer la destruction du Bakufu", ce à quoi leur seigneur répondait « pas encore, il est encore trop tôt ». Autre coutume : les mères du Choshu tournaient les pieds de leurs enfants vers l’Est en insulte au Bakufu, et leurs murmuraient « n’oublie jamais la défaite de Sekigahara, même dans tes rêves ». La haine du clan envers les Tokugawa était viscérale et héréditaire. À partir des années 1850 et devant la menace des Occidentaux, la province de Choshu va accélérer sa modernisation à vitesse grand V : ouverture du Rangaku aux études des samouraïs, passage dans les écoles hollandaises de Nagasaki pour maîtriser la navigation et les techniques de constructions modernes, chats de navires et de fusils, formation de paysans en une milice armée à l’occidentale… Tout était bon pour se défendre et devancer le Bakufu des Tokugawa. Dans les terres du Choshu naîtra Kido Takayoshi, qui à la suite d’une adoption sera renommé en Katsura Kogoro à l’âge de 7 ans. Avec Saigo et Okubo, il l’un des grands réformateurs du Japon.
Légende :
[1] Guerriers tremblant avec courage. Tsukioka Yoshitoshi, 1883-1886.
[2] Le daimyo Konishi Yukinaga. Utagawa Yoshiiku, 1867.
[3] Le Shogun Tokugawa Ieyasu. Kano Tanyu, XVIIème.
[4] Empereur Jimmu, Tsukioka Yoshitoshi, 1880.
[5] Minamoto Yoritomo recevant l'ordre de l'Empereur d'exterminer Heike. Utagawa Yoshimori, 1865.
[6] Baie de Nagasaki et île de Dejima. Kawahara Keiga, 1800-1825.
[7] Emblème du clan Tokugawa
[8] Emblème du clan Shimazu
[9] Emblème du clan Mori
Vue sur les bâtiments des occidentaux à Yokohama, Utagawa Hiroshige, 1875
Il convient en premier lieu de faire un point sur la présence d’étrangers au Japon. Depuis 1650, le Sakoku était appliqué afin de limiter le commerce et les échanges avec l’extérieur. Mais ceux-ci avaient toujours lieu, notamment avec les Coréens. Le Japon gardait un œil sur l’Asie et la Chine, Chine qui elle-même était dans une politique isolationniste, et le commerce avec les Néerlandais avait toujours cours sur l’île artificielle de Dejima, au port de Nagasaki. Cette petite présence occidentale permettait au Japon d’apprendre des Occidentaux, ce qui était appelé le « Rangaku ». Pour l'anecdote, ce Rangaku aura des conséquences majeures sur le développement artistique japonais : les artistes Shiba Kokan et Utagawa Toyoharu étudieront tous deux dans les années 1750 les techniques de perspectives dans l’art occidental, ainsi que la peinture à l’huile. Les enseignements de ces deux maîtres vont influencer deux des artistes d’estampes japonaises les plus célèbres : Hokusai et Hiroshige.
Il ne faut donc pas considérer le Japon comme un pays complètement fermé et reclus, ni comme une terre de légende pour les Occidentaux. Il s’agissait plutôt d’une politique de contrôle pour le shogunat. Mais cet isolationnisme agace les puissances Occidentales qui se développent alors par le commerce, et un désir d’étendre le modèle occidental qu’ils jugent dominant à travers le globe. De multiples tentatives de négociations ont lieu avec le Japon pour les pousser à ouvrir leurs frontières, y compris par les Pays-Bas eux-mêmes. Toutes échouèrent.
Vue des théâtres de Sakai-cho et Fukiya-cho, par Utagawa Toyoharu, 1770. On peut très facilement observer les lignes de fuite et le point de fuite, éléments fondamentaux de la perspective à l'occidentale.
En 1852, les États-Unis chargent le Commodore Matthew Perry d’une nouvelle mission d’ouverture du marché Japonais. Celui-ci embarque à bord de 4 navires à vapeurs et avec plusieurs centaines de Marines armés. Après 6 mois de navigations, il arrive en mai 1853 dans les îles Ryukyu. Il commença à négocier avec le Roi des îles qui était le vassal du clan Shimazu, les maîtres de la province de Satsuma. Il négociera également avec le daimyo Shimazu, et obtiendra d’eux la garantie de futurs échanges commerciaux dans la région. Le Commodore Perry prit ensuite la mer en direction de la baie d’Edo, capitale du Japon.
Le 8 Juillet 1853, il fit tirer à blanc ses 73 canonnières, et demanda l’ouverture commerciale du pays avec les États-Unis. À la suite d’une campagne d’intimidation, il fut autorisé de poser pied dans la baie le 14 Juillet afin de délivrer la lettre du président demandant l’ouverture au commerce, et repartit le 17 en promettant de revenir l’année prochaine pour signer l’accord.
L’arrivé de Perry avec ses « Bateaux Noirs » a fait entrer le pays dans la panique : les démonstrations de force ont vite fait réaliser que le Japon n’avait pas les moyens de lutter efficacement contre le Commodore. En parallèle, le Shogun Tokugawa Ieyoshi avait pris durant son règne des mesures drastiques pour lutter contre la famine et s’est approprié de nombreuses terres pour renforcer le pouvoir de son clan, s’attirant les foudres du peuple et des daimyos. Cependant, à l’arrivée de Perry, la maladie et la fatigue l’empêchent de mener à bien les négociations qui seront faites par le Premier Ministre Abe Masahiro. Peu après le départ des américains, Ieyoshi meurt d’une crise cardiaque et son fils Tokugawa Iesada prend la succession du Shogunat. Mais de faible constitution, il est incapable de régner et les affaires devront être traitées par Abe. Ce dernier décidera de faire une consultation auprès des daimyos afin de savoir si le Japon devrait signer l’accord demandé par les étrangers ou refusée. Cette consultation sera un échec, avec autant de voix pour et contre.
Quand le Commodore Perry revient en février 1854, il est désormais avec 8 navires et 1600 hommes pour mener les négociations. Après des semaines de menaces et de négociations, le Japon finit par accepter l’accord : la Convention de Kanagawa est signée le 31 mars 1854, et ouvre deux ports japonais aux navires commerciaux américains. Perry a accompli sa mission : le Sakoku n’est plus. Pour les Japonais, cet événement a montré la faiblesse du Bakufu : aucun des deux Shogun n’a pu mener les deux négociations. Jamais le Shogunat n’avait consulté l’avis des daimyos pour prendre une décision, et jamais le Shogunat n’avait plié devant des demandes étrangères. Qui plus est, après la signature du traité avec les Américains, les autres puissances Occidentales comme la France et la Grande-Bretagne vont elles aussi signer des traités similaires, continuant de miner l’autorité du Shogunat. Profondément xénophobe, l’Empereur Komei profitera de cette situation pour récupérer petit à petit les pouvoirs que sa lignée a dû céder aux shoguns. Ceci va signer la fin de la période Edo, et ultimement la Chute du Bakufu : le Japon entre Maintenant dans le Bakumatsu.
À gauche, un dessin japonais de Matthew Perry. À droite, sa représentation dans Rise of the Ronin.
À partir de là, le Japon va se séparer en deux positions.
Le Kaibaku : Ouvrir le pays. Ils sont en faveur de l’occidentalisation et de l’ouverture du Japon aux étrangers, considérant qu’on ne peut lutter face à leurs technologies. C’est notamment la position du Shogunat.
Le Sonno Joi : « Révérer l’Empereur, expulser les barbares ». Ils souhaitent lutter contre l’arrivée des Occidentaux, et cherchent à limiter au maximum leur influence au Japon.
Après la signature des accords de Kanagawa, le Japon et le Shogunat réalise son retard, et se lance dans une modernisation et une militarisation à cadence forcée. Les études occidentales vont prendre de l’importance, des écoles et chantiers navals vont être ordonnés, et des instructeurs Hollandais recrutés pour former une flotte japonaise, et le Bakufu achète ses premiers navires occidentaux. Le premier ministre Abe va autoriser aux différentes régions de se remilitariser, lâchant alors encore un peu plus d’autorité. Après la réussite de Perry, les grandes puissances occidentales vont défiler au Japon pour signer des accords similaires : France, Grande-Bretagne, Russie… Les signatures s’enchaînent, créant de plus en plus de tensions au sein du Bakufu. Le Sonno Joi se met en place. Avec l’ouverture du pays forcée, Abe devra démissionner, son successeur ne fera pas mieux.
En parallèle de tout cela va se jouer une lutte pour la succession : le nouveau Shogun, Tokugawa Iesada, est faible de constitution, infirme, sans fils. Son règne sera forcément court. Deux candidats dans la famille Tokugawa sont en lutte : le premier est Iemochi, un enfant d’une dizaine d’années, parfait pour que le Premier Ministre continue la régence et perpétue le Bakufu. L’autre est Keiki, un jeune homme d’une branche plus éloigné, la branche Mito, dont les soutiens imaginaient déjà les retombées des faveurs en cas de règne, sans se mettre d’accord sur ce qui était attendu de lui. Les négociations entre daimyos sont complexes : Nariakira du clan Shimazu ira jusqu’à marier sa fille à Keiki en 1856 pour assurer aux Mito le soutien des Satsuma et renforcer sa position. De son côté, le Premier Ministre Hotta Masayoshi ira demander doléance à l’Empereur pour signer les traités diplomatiques réclamés par les États-Unis, mais aussi qu’il se prononce en faveur d’Iemochi. Jamais le Bakufu des Tokugawa n’avait consulté l’Empereur pour une question diplomatique ou de succession politique. En parallèle, les Américains en la personne de Townsend Harris lui mettait la pression : l'ambassadeur se servit de la guerre de l’Opium pour faire peur en expliquant ce qui pouvait arriver au Japon si le Bakufu ne signait pas et que les Anglais et les Français s’en occupaient… cela débloquera la situation.
De toute cette confusion, un homme réussit à sortir de l’ombre : Ii Naosuke. Orchestrateur de la démission de l’ancien premier ministre Abe, il réunira les opposants au traité américain sous sa bannière et profita de la débandade de Hotta auprès de l’Empereur pour le faire démissionner par le Shogun et prendre sa place : il est devenu Premier Ministre à la place du Premier ministre en avril 1858. En juillet, il signera le traité Harris avec les États-Unis : les grands ports Nagasaki, de Yokohama et de Niigata sont désormais ouverts au commerce et les étrangers sont protégés par des lois extraterritoriales à partir de 1860. Le port de Hyogo ouvrira en 1863, et tout cela malgré le refus de l’Empereur. Ayant promis au précédent Shogun Iesada qu’il aiderait son fils à gouverner jusqu’à être assez âgé, Iemochi est désigné successeur au Shogun, et accédera au « pouvoir » deux mois plus tard. Les promesses maintenant tenues, Ii Naosuke va désormais sécuriser sa position.
À gauche, Ii Naosuke peint par son fils Ii Naoyasu. À droite, sa représentation dans Rise of the Ronin.
En juillet 1858, pendant que le traité Harris est signé, Shimazu Nariakira meurt de maladie. Mais avant cela, il va ordonner à ses partisans tel que Saigo Takamori de réunir des troupes à Kyoto pour « protéger » la Cour Impériale, et faire pression sur le Bakufu. Saigo se reposera sur des partisans du Sonno Joi. Devant la menace, Ii Naosuke va employer les grands moyens : le 7 septembre et durant toute l’année suivante, il va ordonner l’arrestation de nombreux membres du Sonno Joi et des partisans du candidat Keiki, et même de la famille Mito. Plus d’une centaine de personnes furent arrêtées, forcées de démissionner, voire exécutées. Saigo Takamori est sur la liste, mais sera caché. Parmi toutes ces arrestations se trouve Yoshida Shoin : samouraï de la province de Choshu, il a énormément étudié les techniques et savoir-faire militaire occidentaux, et les enseignaient dans son école militaire. La signature du traité Harris transforma sa ferveur en fanatisme du Sonno Joi, et embrigada ses élèves. Arrêté et décapité en 1859, l’un de ses élèves est Katsura Kogoro, lui aussi de la province de Choshu, qui deviendra l’un des grands réformateurs du Japon. Il sera le camarade de classe de Takasugi Shinsaku et Kusaka Genzui, eux aussi originaires de Choshu et fervents Sonno Joi de par l’influence de leur maître Yoshida Shoin.
Cette purge Ansei a permis d’affirmer le pouvoir de Ii Naosuke, mais a aussi fini d’embraser la haine à l’égard du Bakufu, symbolisé par sa personne. Le 24 Mars 1860, Ii Naosuke se rend au palais impérial dans le cadre de ses fonctions, accompagné des autres daimyos. Juste avant d’entrer dans le Palais Impérial, devant la porte de Sakuradamon, 17 samouraïs surgirent dans le but de l’assassiner. Tous venaient de Mito, la faction du prétendant Keiki qui avait été ciblé par l’épuration organisée de Ii Naosuke, et un autre de Satsuma. Le lieu, le timing et la violence de l’attaque prit la garde par surprise. Ii Naosuke n’eut pas le temps de se mettre en sécurité derrière les portes impériales : un tireur embusqué le blessera, et il sera décapité.
La mort de Ii Naosuke marque un tournant : le camp du Kaibaku sur l’ouverture du pays est plus ou moins mort avec lui, de même que ceux qui croyaient encore au système du Bakufu tel que mis en place depuis 250 ans. A partir de là, les plus raisonnable formeront le mouvement « Kobugattai » : une union du Shogunat et de la Cour Impériale. Le mouvement Sonno Joi lui prendra encore plus d’ampleur, les demandes seront de plus en plus pressantes : ils souhaitent que les étrangers soient expulsés coûte que coûte.
Légende :
[1] Caraque portugaise du XVIème siècle. Kano Naizen, fin XVIIème.
[2] Yoshida Shoin se dirigeant vers les navires de Perry, Kinuko Y. Craft, 1984.
[3] Photo de Keiki, aussi appelé Tokugawa Yoshinobu. Photographe inconnu, 1867.
[4] Incident de Sakuradamon, artiste inconnu, XIXème.
Attaque d'une ambassade américaine par des samouraïs, Rise of the Ronin.
À partir de ce moment, un nouveau clan va venir rejoindre cette dangereuse danse, dont les membres vont énormément influer sur le destin du Japon. Il s’agit de Tosa.
Tosa est dirigé par le clan Yamauchi. La région se situe au sud de l’île de Shikoku, bien isolée, et a été obtenue lors du partage du pays par Tokugawa Ieyasu, suite à l’aide fournie lors de Sekigahara. Pour autant, il ne s’agit pas d’un clan majeur politiquement, il s’est même volontairement reclus. En 1848, Yamauchi Toyoshige (aussi appelé Yodo), un homme aussi éduqué qu’amoureux de la boisson, devient le daimyo. Avec l’arrivée des Occidentaux, il comprend que l’avenir est aux réformes, et nomme comme responsable Yoshida Toyo en 1854. Toyo comprend vite que les Occidentaux vont amener des conflits au Japon, et lance donc la militarisation de la région, avec la fabrication de nombreux fusils et canons, la fondation d’une école de samouraïs avec un cursus occidental… Il ira même jusqu'à créer un corps de 10 000 soldats équipés à l’européenne, les Mimpetai, recrutés parmi le peuple et non les samouraïs. Tout fut permis par la mise à l’écart de Yodo par Ii Naosuke, pour punition d’avoir soutenu Keiki. Yoshida Toyo et ses camarades avaient donc la main libre pour mener les réformes, mais se sont aliénés de nombreuses personnes du mouvement Sonno Joi dans le même temps, car les réformes étaient de fond et n’ont aucun impact positif initial.
Les Sonno Joi de la région de Tosa étaient regroupés autour d’un homme charismatique du nom de Takeshi Zuizan. Repéré par Yodo pour ses talents d’escrimes, il fut envoyé en formation à la capitale Edo, où il rencontra en 1856 Sakamoto Ryoma, lui-même originaire de la région de Tosa. Le charisme et la puissance des idées Sonno Joi véhiculées par Takeshi façonneront Ryoma, d’un naturel plutôt ouvert, et Kaibaku, en un Sonno Joi. Il poursuivra ses études d’escrime avec Takeshi et continuera d’affiner sa lame durant les années à venir.
Carte des clans principaux du Bakumatsu, basée sur les travaux de Frédéric Laroche et du professeur Arnold Green de la Brighan Young University.
Parmi les disciples de Takeshi se trouvaient deux autres hommes : Okada Izo et Tanaka Shinbei. Très influencés par Takeshi et la croyance Sonno Joi, ils suivirent ses directives d’assassinats. Ils ciblent les représentants du Shogunat, et les décapitent au cri de « Tenchu ! », la Punition Divine. Tanaka Shinbei participera à l’incident de Sakuradamon. Ces deux hommes feront partie du groupe appelé « les Quatre Hitokiris », Hitokiri signifiant « Coupeur d’homme » en japonais. Dans ce groupe, on retrouve Kirino Toshiaki, qui est responsable de meurtres de moins grande envergure, et sera celui qui survivra le plus longtemps. Le dernier homme, Kawakami Gensai, assassinera Sakuma Shozan en 1864, un grand étudiant du Rangaku et ancien enseignant de Sakamoto Ryoma, Yoshida Shoin et Katsu Kaishu.
Suite à la mort de Ii Naosuke, le Bakufu est en panique. Le mouvement Sonno Joi grossit, et devant cette menace le Bakufu chercha à opérer un rapprochement avec l’Empereur. À ce moment, les Satsuma sont dirigés par le jeune demi-frère de Shimazu Nariakira, Shimazu Hisamitsu. Celui-ci poursuivit la politique de modernisation de la province commencée par son père, et fit de Okubo Toshimichi son bras droit. Okubo est pour le Kobugattai, et manœuvrera dans son but quitte à aller contre son ami Saigo Takamori.
Au sein du gouvernement, le nouveau Premier Ministre Ando Nobumasa est clairement dépassé par les évènements. Il négocie avec l’Empereur Komei pour marier la famille Impériale au Shogunat, ce qui sera accepté. Cependant la première prétendante choisie décéda subitement. Le Shogunat reporta alors le choix de la mariée sur la jeune sœur de Komei, la Princesse Kazu, pour une union au Shogun Iemochi, tous deux alors âgés de 15 ans. Ceci sera initialement refusé par Komei et Kazu, qui refusaient s’abaisser à cela, mais Komei céda devant la pression du Shogunat et de ses conseillers, et rajouta une clause : après le mariage, le Bakufu devra rompre les Accords Harris, et retourner à l’isolationnisme. Voyant ceci comme seul moyen pour sauver le Shogunat, Nobumasa accepta, et l’accord vu signé en 1861. Kazu fut ensuite forcée à accepter, la Cour menaçant de destituer son frère si elle refusait ce mariage. Elle finira donc elle aussi par accepter : le mariage est prévu pour janvier 1862.
Pendant ce temps, chez Satsuma, les plans s’échafaudent. Hiramisu est ambitieux : après avoir repris les affaires du clan pendant les années 1860 et 61, il prévoit désormais de faire plier le Bakufu, et le contraindre à des réformes d’envergure. Une « ambassade » de guerriers investirait Kyoto et obtiendrait un écrit Impérial ordonnant les réformes au Shogunat. Keiki serait nommé « gardien » du Shogun Iemochi, et un groupe de daimyos siègeraient pour représenter l’Empereur en contre-pouvoir du Shogunat. Rappelons que dans l’organisation gouvernementale, le Shogunat est sensé tenir son pouvoir de l’Empereur, qui est le symbole de la Nation. Celui-ci a été isolé politiquement et ne dispose d’aucune force militaire, il est donc forcé de suivre le Bakufu, mais sa descendance céleste en fait le symbole du pouvoir : qui contrôle l’Empereur et la Cour contrôle le Japon, et le Shogunat ne peut s’opposer frontalement à l’Empereur.
Les préparatifs commencent, Okubo convoque son ami Saigo pour organiser le mouvement : il faut des troupes courageuses et disciplinées. Saigo est très inquiet : comme beaucoup, il surestime la solidité du Bakufu, et craint qu’en cas de défis, celui-ci fasse appel aux Occidentaux. De même, les relations de Satsuma avec les autres daimyos n’étaient pas assez fortes pour s’assurer de leur soutien pour faire plier le Bakufu. Il accomplira néanmoins sa tâche. Il parvient à regrouper une troupe, mais celle-ci n’a aucune préparation, et ne voit pas au-delà de leur mort dans une tentative de faire honneur à l’Empereur contre le Bakufu. Entre ses critiques et des désobéissances commises, Hiramisu finit par se méfier de Saigo, et mettra fin à l’opération le 8 mai 1862.
À gauche, une photo de Sakamoto Ryoma. À droite, sa représentation dans Rise of the Ronin.
D’autres opérations étaient en cours, notamment chez les Sonno Joi. Depuis l’assassinat de Ii Naosuke, leur radicalisation était de plus en plus forte, de même que leur entraînement miliaire, ce qui les rendaient de plus en plus dangereux. Beaucoup d’entre eux voient d’un très mauvais œil le mariage entre la famille Impériale sacrée et le faible Bakufu. Certains d’entre eux avancent un plan : empêcher le mariage et préserver la famille Impériale. Un premier groupe détournerait le convoi de la Princesse Kazu, et l’autre groupe s’attaquerait au Premier Ministre Nobumasa. Takeshi Zuizan de Tosa prenait part à ces réflexions, mais était profondément contre, songeant que cela allait surtout empirer la situation. Qui plus est, le daimyo du clan, Yodo, était toujours emprisonné suite aux ordres de Ii Naosuke : si l’opération échoue, il serait probablement exécuté.
Inquiet, il alla voir Yoshida Toyo et lui fit part du plan fomenté, mais Toyo l’ignora en lui répondant que si quelque chose de cette nature se tramait réellement, il l’aurait déjà su et pas par Takeshi. Cette fois-ci s’en est trop : n’écoutant jamais l’avis des familles respectables, menant des réformes qui n’avaient au premier abord aucun effet mais qui bafouaient les traditions, cet homme était désormais son ennemi. L’inaction de Takeshi lui fit perdre des hommes, qui s’empressaient de rejoindre d’autres mouvements à Satsuma ou à Choshu, Sakamoto Ryoma lui-même déserta le clan fin Avril 1862.
L’attaque, elle, aura lieu en février lors du retour de la Princesse, et blessera le Premier Ministre Nobumasa qui se retirera alors de la vie politique. Suite au scandale, son second posera sa démission en septembre. Dans la tourmente, Tosa parvint à négocier le retour de leur daimyo Yodo, qui revint dans le mois de mai 1862. Keiki retrouvera lui aussi sa liberté. Finalement, Takeshi prit une décision : alors que Yoshida sortait calmement du château provincial dans la nuit du 2 mai, Takeshi et ses hommes l’interceptent et le décapitent. Le gouvernement réformateur est alors chamboulé, les réformes s’arrêtent et la paix revint dans la région de Tosa. Ceci leur coûtera énormément sous la restauration Meiji, puisque leur modernisation ne sera plus assez avancée pour faire valoir leur prétention face aux autres clans réformateurs.
Hisamitsu, lui, cherchera à calmer les ardeurs des Sonno Joi de Satsuma, entendant parler d’une rébellion, ce qui pouvait leur coûter cher auprès du Bakufu. Lors d’une réunion à l’auberge Terayada le 21 mai 1862, il fit dépêcher un groupe armé pour mettre aux arrêts les membres du Sonno Joi réunis. Sur les 70 membres présents, 40 étaient de Satsuma. Il fut tenté de les raisonner, mais les sabres finiront par parler. La rébellion envers le Bakufu est éliminée, mais elle n’est que la première.
La situation à Kyoto est proche de la panique : les Choshu s’affichaient fortement en faveur de la Cour, qui le leur rendait bien malgré l’échec de leur proposition pour envahir des territoires extérieurs (la Cour Impériale était frileuse de traverser les mers en dehors du Japon). Des guerriers rassemblés par Saigo pour le compte de Satsuma se sont dispersés et ont été captés par Choshu, grâce à Kusaka Genzui et Takasugi Shinsaku. Takeshi était arrivé de Tosa avec 600 samouraïs Sonno Joi, parfait pour influer et conspirer. Son daimyo Yodo pendant ce temps était revenu au domaine, et découvrit que l’homme qu’il avait choisi pour mener les réformes, Yoshida, avait été assassiné. Il lança donc une enquête, qui le mènera petit à petit sur les traces de Takeshi.
Lors de son séjour à Kyoto, Hiramisu tenta quand même de négocier son opération avec la Cour. Surprenamment, celle-ci accepta ses propositions, il retourna donc en juin 1862 à la Capitale Edo pour annoncer les nouvelles : le Bakufu devrait désormais partager le pouvoir avec un regroupement de daimyos qui serait consulté pour les décisions les plus importantes, Keiki sera désormais le gardien du Shogun, Shogun qui avait rendez-vous avec l’Empereur pour avril 1863. C’est une victoire pour les partisans du Kobugattai.
Cette rencontre permit à Keiki de rencontrer pour la première fois l’Empereur Komei, avec qui il nouera de bonnes relations. Cependant, dans les rues de Kyoto, les Sonno Joi décapitent des statues d’anciens Shoguns issus du deuxième Bakufu, dont Kyoto était la capitale. Il s’agit de messages envers le Shogun et les Tokugawa. Devant ces menaces sera créée la police du Shinsengumi qui recruta des rônins pour chasser ces exacteurs. Cela n’empêchera pas les négociations Cour-Bakufu : le 25 juin 1863 sera donné l’ordre aux étrangers de quitter le pays. Ou plutôt : l’Empereur pourra publier l’édit. Le Shogunat ne l’appliquera jamais. Mais cela suffit pour les Sonno Joi : déjà nombreuses, les agressions envers les étrangers vont encore se multiplier à cette nouvelle.
La montée des tensions se répercute aussi sur la vie quotidienne des occidentaux au Japon. À mesure que les années passent, le nombre d’agressions augmente, que ce soit envers les cargaisons, les maisons ou même les personnes. Les chargés d’affaires locaux Français et Anglais, respectivement Bellecourt et Alcock, travaillèrent à former un front militaire uni au Bakufu dans les négociations. Ils cherchèrent du soutien auprès des États-Unis en 1860, mais Harris les dissuada. Il ne les prévint pas qu’il avait déjà une mission diplomatique japonaise en direction de sa patrie et qu’il ne voulait pas perdre ses liens privilégiés, ni que la guerre de Sécession se profilait et qu’il n’aurait bientôt plus aucune puissance militaire majeure sur le sol japonais. Ce serait un trop beau cadeau à ses compères mais aussi ses opposants.
Le 5 juillet 1861, la Légation anglaise est attaquée par des Sonno Joi qui souhaitaient la tête de Alcock. Cela provoquera plusieurs blessés. Une amende fut demandée au Bakufu, qui paya. La sécurité est renforcée. Elle sera à nouveau attaquée le 26 Juin 1862, et même incendié en Février 1863. Chaque années les Puissances Occidentales déploraient des assassinats par des Sonno Joi, plus personne ne dormait sans un revolver sous l’oreiller.
Pendant ce temps, une première mission japonaise en Europe était partie direction la France et l’Angleterre en Janvier 1862, et signa un nouvel accord à Londres : les ports de Hyogo, Niigata, Osaka et Edo n’ouvriront pas avant 1868, à condition que le commerce et les déplacements inter-régions soient libres. Une ouverture de plus en plus forte au commerce, de quoi faire exploser de colère les Sonno Joi.
À gauche, une photo de Rutherford Alcock par Lock & Withfield en 1877. À droite, sa représentation dans Rise of the Ronin.
Le 14 décembre 1862 a lieu un incident entre les soldats Anglais et le convoi d’Hiramisu de Satsuma : ce dernier s’est vu refuser la priorité de passage par les Anglais, et les Japonais ont interprété cela comme une attaque. Il sera demandé par les Anglais une amende ainsi que la révocation du titre de Daimyo par Hiramisu, à exécution pour le 26 avril 1863. Sans réponse, le Colonel Neale prépara sa flotte, assisté des Français. Le Bakufu se justifie du déplacement du Shogun à Edo empêchant de prendre des décisions, et demandant le report de l’ultimatum. Il y en aura plusieurs, et enfin, le 14 juin, le Bakufu leur promet le début du règlement financer pour le 18. Neale recevra une lettre d’excuse à la place. Il commence à préparer l’intervention militaire, ce qui fait paniquer le Bakufu qui finit par payer le 24 Juin. Voulant préserver sa face à tout prix, le paiement se fit de nuit, avec des dollars mexicains. Dans le même temps, les Occidentaux apprirent l’édit d’expulsion des étrangers… ils sont outrés.
Fort de cet édit, les Sonno Joi de Choshu décident de bloquer le canal de Shimonoseki. Deux navires Choshu surgirent avec des drapeaux du Bakufu pour tirer sur des navires marchands américains. Plusieurs navires français et hollandais seront canardés, sans réels dégâts. Les attaques discrètes dureront tout un mois. Le 8 juillet 1863, un navire américain se décida de calmer les Sonno Joi, comprenant que la passivité des occidentaux ne faisait que les encourager. Les deux navires Choshu furent endommagés et les batteries côtières réduites au silence. Les Français firent de même, avec en plus un débarquement pour prendre les forts. Le Bakufu les félicita d’avoir lutté contre les Sonno Joi pendant que la Cour Impériale félicitait ces mêmes Sonno Joi. En août, la tête du capitaine américain fut retrouvée dans un bain public. Un des lieutenants Français partit s’occuper de son cheval et n’en revint jamais.
Légende :
[1] Portrait de l'Empereur Komei, Koyama Shotaro, 1902.
[2] Autoportrait de Takeshi Zuizan, entre 1863 et 1865.
[3] Sumo de Yokohama repoussant les étranger. Ipposai Yoshifuji, février 1861.
[4] Meurtre à Namamugi. Auteur inconnu, 1877.
Feux d'artifices au-dessus du pont Nihonbashi à Tokyo, Rise of the Ronin
En parallèle des réunions de cour et des manœuvres politiques, plusieurs évènements d'importance ont lieu de manière isolée. Profitons d'un bref intermède pour les développer, avant de reprendre le développement de cette chronique.
Katsu Kaishu est le fils d’un vassal des Tokugawa. À l’âge de 15-16 ans, il étudia le hollandais, ainsi que l’artillerie et la navigation. En 1850, il parlait couramment le néerlandais. Avec l’arrivée du Commodore Perry, le Bakufu lui demanda conseil, et il écrivit plusieurs mémoires très critiques sur l’état des côtes japonaises, le besoin de se constituer une marine marchande pour développer le commerce, l’étude des sciences occidentales ainsi que la production de navires de guerre et l’entraînement militaire à réformer. Ceci lui permit d’être envoyé à Nagasaki en 1855 dans le Centre Naval tenu par des Néerlandais. Il finit ses études 3 ans plus tard, et embarqua sur le Kanrin-maru, un bateau à vapeur offert par la Hollande, en direction des États-Unis pour une mission diplomatique en 1860. Il a 35 ans. Durant son voyage, il prit le plus de notes possibles sur les installations militaires et industrielles du pays. Il rentre en 1861, et plaide pour une marine forte, et mettra tout en œuvre pour moderniser le Japon sur cette question. Il sera nommé Commissaire de la Marine en 1864 et aura toute autorité pour mener ce projet à bien.
À gauche, une photo de Katsu Kaishu prise en 1865. À droite, sa représentation en jeu.
Le début 1860 est un moment important pour Sakamoto Ryoma : Sonno Joi convaincu face à l’immobilisme de son maître Takeshi, il décide de partir pour Kyoto en entendant parler des plans d’Hiramisu de Satsuma. Mais pendant son voyage, il apprend la « trahison », l’annulation de ces projets. Il se cherche, et souhaite comme tant d’autres d’aider sa cause en éliminant les faibles du Bakufu. Son choix se portera sur un homme qui les sert, un adepte des méthodes occidentales, un mandataire de la modernisation du Japon : Katsu Kaishu.
Il fit jouer de ses contacts, et obtint l’adresse de son domicile. Il s’y rendit avec des intentions meurtrières. Cependant Kaishu avait été prévenu, et vint à sa rencontre. « Si vous êtes venu pour me tuer, vous devrez attendre que nous ayons fini de discuter ». Très surpris de l’accueil, Ryoma accepta. Et ils discutèrent. Ils discutèrent de la situation du Japon, des faiblesses du pays face aux Occidentaux, et la nécessité de se moderniser. Et Ryoma, Sonno Joi convaincu, qui ne souhaitait que l’expulsion des barbares et revenir à un âge d’or glorieux et perdu dans les temps anciens, s’ouvrit à la vision de Kaishu. Il est venu en assassin, il se déclarera son garde du corps.
Après cette rencontre, les deux hommes travailleront ensemble, Ryoma s’acharnant à trouver les ressources humaines et financières pour Kaishu, qui arrivera à convaincre le Shogunat d’ouvrir un centre de formation ainsi qu’un chantier naval le 11 mai 1863 à Hyogo. Cela permit aussi à Ryoma de rencontrer plusieurs personnes aux idées riches de ce qui se faisait en Europe. Grâce à Ryoma, l’hitokiri Okada Izo devint le garde du corps de Katsu Kaishu, et se révéla d’une grande efficacité pour arrêter les assassins.
Membre de la région de Choshu, Takasugi Shinsaku est envoyé par son clan pour enquêter discrètement sur la situation chinoise et l'influence occidentale. Il part en 1862, et arrive en pleine révolte des Taiping. Il découvre un Empire soumis par les Occidentaux, incapable de s'opposer à eux, payant des tributs si lourds que le pays se retrouve dans la famine. Le gouvernement ne peut lutter face au fléau de l'opium que leur importe les Anglais. Cela finit de convaincre Shinsaku que le Japon doit absolument s'armer pour lutter contre l'Occident s'il ne veut pas être lui aussi ravagé comme la Chine. Il fondera plusieurs unités militaires qui ont la particularité de ne pas être composée uniquement de samouraïs contrairement aux traditions. La plus célèbre de ces milices est la Kiheitai, qui est une unité d'élite équipée d'armes occidentales et maîtrisant les techniques de guerres et d'escarmouches des Européens. Elle sera l'un des atouts les plus efficaces de Choshu en période de conflits armés.
À gauche, une photo de Takasugi Shinsaku. À droite, sa représentation en jeu.
Le Shinsengumi tel que représenté dans le film Kenshin: Le Commencement. L'uniforme bleu est caractéristique de ce corps de milice.
En 1863, pour l’arrivée du Shogun Iemochi à la Cour, le daimyo d’Aizu et fidèle partisan du Shogunat dispose du rôle de Protecteur de Kyoto. Il lance la création d’une milice, le Roshigumi, qui a pour but de pacifier les rues de la capitale Impériale. À sa tête se trouve Kiyokawa Hashiro qui recrutera 250 rônins. Cependant Hashiro est un Sonno Joi, et proposera secrètement à la Cour de mettre le Roshigumi à son service. Néanmoins le Bakufu l’apprend, aussi pour éviter qu’une milice entraînée aux ordres de la Cour ne traînent trop proche du Shogun à Kyoto, elle sera renvoyée à Edo pour les garder sous contrôle. 13 hommes feront sécession pour rester fidèle à leur mission de protection, et stationneront aux alentours du village de Mibu. Ne pouvant vivre que de vols et d’extorsions, ils seront rapidement surnommés « Les Loups de Mibu », avant d’être enfin renommé Shinsengumi. Deux hommes sont aux commandes : Serizawa Kamo, originaire de la région de Mito et membre d’un mouvement local appelé Tengu-to et accompagné par quatre de ses camarades. C’est un homme impulsif, porté sur la boisson et la violence, qui sera à l’origine de la mauvaise réputation du Shinsengumi. L’autre homme est Kondo Isami, un paysan devenu samouraï grâce à son talent à l’escrime, qui a entraîné notamment deux de ses amis dans l’aventure du Roshigumi : Okita Soji, l’un des bretteurs les plus doués de sa génération, et Hijikata Toshizo. Kondo Isami est, comme beaucoup de Japonais, profondément xénophobe et ne souhaite qu’une chose : le départ des étrangers. Il suppliera régulièrement le Bakufu d’appliquer les directives de la Cour concernant l’expulsion des occidentaux, mais ne sera jamais écouté sur ce point. Profondément fidèle, il défendra le Shogunat jusqu’à son dernier souffle.
De ce noyau seront recrutés d’autres membres après un entraînement très rigoureux et violent, qui fera du Shinsengumi l’une des milices les plus redoutées de son époque. Le caractère extrême de l’entraînement est dû à Hijikata, qui sera alors surnommé « Le Démon du Shinsengumi ». On ne quitte pas le Shinsengumi : ceux qui désertent ou veulent arrêter leur entraînement doivent se faire seppuku ou bien seront poursuivis et exécutés par les autres membres.
Les troubles que causent Serizawa sont un poids pour le Shinsengumi : il s’enivre, tue, viole, incendie partout où il passe. Le Shinsengumi tentera tant bien que mal de le couvrir, allant jusqu’à assassiner les magistrats qui n’acceptent pas les pots-de-vin. Finalement, le daimyo d’Aizu donne l’ordre à Kondo d’éliminer Serizawa. Profitant d’une soirée alcoolisée, Kondo accompagné de Okita et Hijikata attaque la bande de Serizawa qui en meurt. Deux autres hommes sont éliminés, un troisième se fera seppuku et un dernier s’enfuit dans la nature et disparaîtra. Officiellement, ce sont des bandits qui ont commis le meurtre. Désormais, Kondo contrôle le Shinsengumi d’une main de fer.
À gauche, une photo de Kondo Isami issu du "Mezurashii Shashin". À droite, sa représentation en jeu.
Navire Le Medusa forçant le passage de Shimonoseki. Jacob Eduard van Heemskerck van Beest, 1864
Il n’y a pas que la lutte contre le Bakufu dans la vie : le temps passant, les relations entre Satsuma et Choshu se dégradèrent. C’était la lutte à celui qui allait imposer son modèle et son influence politique face à l’autre. Les Choshu basculent dans le Sonno Joi non par conviction, mais parce que suite à leur proposition d’invasion qui a été vivement refusée par la Cour, c’est leur seule solution de garder un poids politique suffisant face au Kobugattai de Satsuma. Cela permit aux Choshu de conserver les faveurs de l’Empereur. En 1862, ils seront officiellement déclarés médiateurs entre le Bakufu et la Cour Impériale.
Juillet 1863, les Choshu parviennent à interdire l’accès au Palais Impérial aux autres clans. En réponse, Satsuma négocie avec la région d’Aizu pour reprendre le contrôle du Palais. Le 29 septembre, les troupes des deux régions envahissent le Palais au nez et à la barbe des 400 soldats Choshu et du millier de samouraïs Joi présents à Kyoto, contrôlent toutes les entrées, réunissent la Cour pour une séance extraordinaire et font déclarer que désormais, Satsuma et Aizu sont les protecteurs officiels de l’Empereur. Les Choshu sur place n’auront rien pu faire face à ce qui est presque un coup d’état. C’est la panique à Choshu, qui vient de perdre toute son influence sur la Cour. Les Sonno Joi s’échauffent, et les membres du mouvement comme Katsura Kogoro appellent à la guerre contre Satsuma et Aizu. L’armée régulière se renforce, s’entraîne… la tension monte.
À gauche, une photo de Kogoro Katsura prise en 1869. À droite, sa représentation en jeu.
Cette simili-prise de pouvoir donne des ailes au Kobugattai : janvier 1864, Hiramisu parvient à forcer la cour à créer un conseil des Daimyo, composé de 6 membres dont Hiramisu de Satsuma, Keiki de la branche Mito des Tokugawa, et Yodo de Tosa, ainsi que le daimyo de Aizu. Les Choshu sont hors d’œuvre. Cela aurait pu être un pas décisif, mais il y avait trop de tensions entre ces différents chefs. Notamment entre Hiramisu et Keiki : ce dernier pensait que l’objectif de Satsuma n’était que la destruction du Bakufu à petit feu. Avril 1864, ce même conseil est dissous. Il n’aura rien donné.
En parallèle de ça, Satsuma fait toujours affaire aux Anglais : suite à l’incident diplomatique, le Colonel Neale voulait faire payer les Shimazu de la mort de ses compatriotes. Les rixes au détroit de Shimonoseki lui prouvent que tant qu’il ne s’attaque pas aux alliés du Bakufu, les représailles seront minimes. Le 11 août 1863, l’escadre anglais prit position face à la capitale régionale de Kagoshima. Neale repose ses exigences : arrestation des meurtriers, paiement d’une amende. Okubo prépare la ville et ses défenses depuis le mois de mai, et gagne du temps en faisant patienter les demandes anglaises. Neale craque le 13 août, et capture 3 navires à vapeur que les Satsuma avaient achetés à l’Angleterre pour faire du commerce. La réponse est immédiate : les batteries côtières canonnent les Anglais. Mais ceux-ci sont quasiment hors de portée de tir, et la situation n’est pas réciproque : la réponse anglaise met la moitié de la ville en flammes, heureusement évacuée auparavant. Les Anglais sont satisfaits d’avoir détruit «le palais du prince de Satsuma » : c’était un temple. Une des batteries parvint malgré tout à toucher un des navires car les soldats assignés avaient l’habitude d’un entraînement sur cible mobile pile sur la position des Anglais… cela fit 50 morts. Parmi l’escadre anglaise se trouvait le traducteur Ernest Satow, qui était arrivé un an auparavant, une semaine tout juste avant l’incident avec Hisamitsu. Il a pu contempler la vaillance des défenseurs de Kagoshima.
Cette attaque fit peur aux Satsuma, qui réalisèrent tous à quel point ils étaient faibles face aux Occidentaux, et que la modernisation était importante. Okubo menaça le Bakufu d’envoyer des Sonno Joi pour assassiner le Colonel Neale pour emprunter de l’argent afin de payer l’amende des Anglais (argent qui ne sera jamais remboursé), et les Satsuma approchèrent Alcock pour intensifier leur modernisation en important des machines, des professeurs d’universités… la révolution est en marche. Les Anglais acceptent car ils sont surpris de la férocité avec laquelle les Japonais se sont défendus, et préfèrent les avoir en amis qu’en ennemis. Cette expérience manqua à la France, qui au terme de multiples missions diplomatiques, se rapprochera du Bakufu en échange de vers à soie.
Choshu se décide enfin à faire tomber le Bakufu. Fin juin 1864, le clan Mori déplace ses hommes prétextant des « appels à la Cour » à Kyoto. Il n’en est rien : l’opération prévue est d’incendier le Palais Impérial, de profiter de la distraction pour kidnapper l’Empereur, et récupérer le pouvoir politique. Kogoro Katsura fut envoyé avec les 250 hommes de l’opération. Cependant, l’un des Sonno Joi au courant de l’opération sera arrêté et, après torture, révèle l’information au Shinsengumi. En Juin, la milice mettra la main sur deux autres hommes qui révéleront la cache de l’organisation : l’auberge Ikedaya.
Une trentaine d’hommes sont réunis à l’auberge pour préparer le coup d’état. Ils savent qu’ils sont traqués, mais ne se doutent pas que le danger est proche. Réunis à l’étage qu’ils ont privatisé, ils profitent de l’occasion pour boire comme d’accoutumée. On est le 8 Juillet, il fait chaud. Tout le monde ne pense qu’à se rafraîchir et se dévêtir une fois le soleil couché.
10 hommes entrent en armure, armés de lances et de sabres aiguisés. 6 sécurisent le rez-de-chaussée pour s’assurer que personne ne sorte. Kondo Isami et trois autres hommes montent à l’étage pour déclarer l’arrestation des rebelles, ahuris par la surprise et l’alcool. L’un d'eux se jettent sur les miliciens, Okita Soji le découpe d’un coup de sabre, le massacre commence. Les rebelles sont décimés, arrêtés, faits seppuku : en deux heures, le plan de Choshu tombe à l’eau, les têtes de l’organisation sont quasiment toute tombées. Kogoro Katsura aurait dû en faire partie. Il est arrivé en avance, il a vu que ses camarades tardaient à arriver. Il ne pensait pas les Choshu prêts à la guerre qu’allait déclencher le coup d’état. Il repartit une heure avant l’arrivée du Shinsengumi.
Le massacre d’Ikedaya fit basculer Choshu dans l’extrémisme : l’heure est à la vengeance. 2000 hommes seront envoyés à Kyoto. Kogoro Katsura et Kusaka Genzui en font partie. Satsuma et Aizu furent mis au courant, et seront fin prêts à accueillir les Choshu. Le 20 août 1864 , ils tentent une percée à la Porte Oubliée, Kinmon. Le combat fut âpre, mais les assaillants sont repoussés, non sans qu’ils incendient une bonne partie de la ville. Cette défaite permit de faire chuter la tension au sein des Choshu, et le camp des modérés reprit le dessus sur celui des Sonno Joi. Le Bakufu ne peut rester indifférent à cela : le 1er septembre est décidé de lancer les représailles à l’encontre du clan Mori. Les Satsuma voient cela comme une chance inespérée, puis réalisent que si les Tokugawa prennent le contrôle de la région de Choshu, cela les mettra dans une position suffisamment solide pour ensuite se défaire des Satsuma et alors consolider le Bakufu. Ce n’est pas désirable. Aussi, Saigo Takamori sera envoyé au nom du shogunat pour réclamer les têtes des comploteurs plutôt que le sang des Choshu.
À gauche, une photo de Kusaka Genzui. À droite, sa représentation en jeu
Dans le même temps, les Choshu se sont réinstallés militairement dans le détroit. Gardant de mauvais souvenirs de la dernière fois, une escadre conjointe d’Anglais, de Français et d’Hollandais s’allie le 17 août pour mettre fin aux prétentions Choshu sur le détroit. L’opération commence le 5 septembre 1864 : la flotte bombarde les nouvelles batteries d’artillerie Choshu, débarque sur terre continuer le combat, et poursuit les navires japonais mal équipés, aidés de cartes précises de la région fournies par le Bakufu avec l’intermédiaire de Keiki. Takasugi Shinsaku négociera la fin des hostilités, il réalise enfin que le Japon dans son état actuel n’a aucune chance contre l’Occident. À partir de ce moment, la pression redescendit enfin sur les Occidentaux, sans que la situation soit calme pour autant.
C’est la débandade pour Choshu, qui subit une humiliation occidentale en même temps que l’échec de son coup d’état. Ils furent ravis que Saigo cherche à convaincre le Bakufu de ne pas déclencher de représailles militaires. Ce dernier jouait à la grenouille qui fait le bœuf : une insurrection sur les terres du clan Mito l’accaparait, et les forces du gouvernement révélaient leur piteux état…
En avril 1864, des rônins, des paysans et des prêtres shintos forment la rébellion Tengu-to, mouvement religieux auquel appartenait Serizawa Kamo. Leur objectif était d’expulser les barbares, comme à l’habitude des Sonno Joi. Après une petite période de diplomatie, cela tourne à la guerre civile : le Bakufu contrôlé par les Tokugawa est obligé d’envoyer des troupes défendre la branche du clan, les Mito de Keiki. Ce sera un désastre, les troupes régulières du gouvernement furent régulièrement mises en échec par les guérilleros Tengu-to. Ils parvinrent tant bien que mal à mater la rébellion en novembre 1864, mais une campagne de terreur se déclencha à l’encontre des membres du clan Mito par les Sonno Joi qui voyaient en eux des traîtres à l’Empereur. Livraison de mains et oreilles coupées, incendies terroristes… ces évènements affaiblirent fortement le clan Mito, qui désormais ne jouera qu’un rôle mineur dans le jeu politique et militaire du Bakumatsu.
Légende :
[1] Bombardement de Kagoshima par la flotte anglaise. E.Roevens dans Le Monde Illustré, 5 Décembre 1863.
[2] Auberge d'Ikedaya. Utilisateur Wikipedia, 2009.
[3] Ronins pendant la rébellion Tengu-To. Utagawa Kuniteru III, 189.
Le Kotetsu, première frégate cuirassée du Japon, sous pavillon Sud-américain en 1865 avant sa vente au Bakufu.
Suite à l’incident de Kinmon le 20 août 1864, le Bakufu décide de se lancer dans une expédition punitive et entraîne les Daimyos avec lui. Étant déjà occupé avec la rébellion du Tengu-to, la majorité des 150 000 soldats réunis pour faire face à Choshu seront issus des autres clans. Mais avec le temps de préparation et la réticence du chef de guerre Tokugawa Yoshikatsu, elle ne se mise en marche que fin novembre. Cela a permis à Saigo Takamori de rencontrer le commissaire de la Marine du Shogun Katsu Kaishu, et ensuite Yoshikatsu pour négocier une trêve contre la tête des dirigeants du coup d’état. La suggestion de Saigo fut acceptée, et la demande transmise aux Choshu, qui avaient jusqu’au 16 décembre pour finir de faire le ménage parmi les extrémistes et répondre aux demandes du Bakufu. Face à eux se tiennent 750 miliciens du Sonno Joi, qui ne feront évidemment rien. Les Choshu, réorganisés avec désormais Kogoro Katsura au sein du gouvernement local, acceptent la proposition du Bakufu et éliminent les miliciens en face. Les Tokugawa se déclare victorieux de la « bataille ».
En octobre 1863, le chargé d’affaires français Bellecourt est remplacé par Léon Roches. Arrivant en plein dans la tourmente du détroit de Shimonoseki, il manque d’expérience sur les particularités de la mentalité et du gouvernement japonais. Néanmoins, il sut s’engouffrer dans les opportunités à sa disposition : en France depuis 1850, la riche industrie de la soie souffre de ses cocons malades. Et par le plus grand des hasards, les vers à soie d’Asie, y compris du Japon, sont bien plus résistants aux maladies. Roche signera donc des contrats pour des cocons de qualité avec le Bakufu en échange de ce dont ce dernier a besoin le plus au vu de la situation du moment : des armes. Ayant les faveurs du Quai d’Orsay, et appréciant le peuple japonais, il organisera l’ouverture d’une école de Français pour former des traducteurs. En avril 1865, 47 étudiants, tous du clan Tokugawa, la rejoignent. Dans le même temps, il lance un projet de construction d’un chantier naval à Yokosuka. Tout ceci permet de tisser des liens forts avec le Bakufu et de faire monter la part du commerce français avec le Japon, et d’avoir toujours plus de vers à soie. Pour le Bakufu, l’arrivé d’armes était une aubaine ainsi que l’arrivée du savoir-faire scientifique et industriel français : système métrique, manufacture de briques, machines motorisées, sciences économiques… Tous ces échanges sont une aubaine pour la modernisation nécessaire du Japon. Roches arrivait à faire fructifier les affaires françaises, et cela n’était pas du goût des Anglais.
Le 15 juin 1865, le Shogun Tokugawa Iemochi rassemble les troupes à Kyoto. Il décide de revenir sur les accords avec Choshu, leur demandant la démission de leur daimyo, une lourde pénalité d’amende, et une vassalisation d’une grande partie de leur territoire. Évidemment que le clan Mori était contre, et il a eu le temps de panser ses plaies depuis l’incident Kinmon et les attaques occidentales. Le Shogunat fit un appel aux troupes, mais beaucoup de daimyos refusèrent. Le plan initial consistait en une forte intimidation de Choshu pour les pousser à accepter, sans pertes d'hommes, puis soumettre les autres clans plus puissants comme Satsuma pour rétablir l’autorité du Bakufu. Mais tout le monde devinait la manœuvre et personne ne voulait prendre part à ce petit jeu. L’expédition patine, mais Choshu reste en position difficile. Et lorsque Choshu tombera, Satsuma deviendra la prochaine cible. Il devient impératif pour les deux de s’allier malgré les rivalités entre les deux clans, et un homme travaillera à ça : Sakamoto Ryoma.
Depuis mai 1863, Ryoma travaille avec Katsu Kaishu au chantier naval de Hyogo, près d’Edo. Avec les bombardements de Kagoshima et les attaques de Shimonoseki, de nombreux membres du Chantier vont aider les troupes d’Aizu et de Satsuma. Par conséquent, le Bakufu voit ce groupe comme dissident, demande la démission de Katsu Kaishu le 10 novembre 1864, peu après sa rencontre avec Saigo Takamori. De fait, il fait la recommandation de Ryoma aux Satsuma, et ce dernier se met donc à travailler pour le clan Shimazu : on lui offre un petit bateau, et il fonde donc une compagnie maritime qu'il baptise Kaientai. Il développa le commerce, et fit affaire avec l’entreprise Glover, tenu par Thomas Blake Glover, un Écossais arrivé en 1859 pour vendre du thé vert mais qui s’est surtout mis au commerce illégal d’armes avec Satsuma et Choshu.
Durant l’été 1865, Ryoma recontacte ses frères d’armes de Tosa qui se sont éparpillés, dont certains ont été accueillis à Choshu. De fil en aiguille, Ryoma se rend à Shimonoseki en juin 1865 pour rencontrer Kogoro Katsura, membre du gouvernement de Choshu, pour le rassurer sur les intentions de Satsuma. L’apaisement entre les deux clans commence à se faire. Depuis l’incident Kinmon et l’expédition punitive, Choshu était isolé politiquement et commercialement, ne pouvant plus acheter d’armes. Grâce à Ryoma, Satsuma acheta des armes à Glover pour les faire passer à Choshu.
Le 7 mars 1866, un accord est signé : Satsuma s’engage à redorer l’opinion de Choshu à la Cour Impériale et, si le Bakufu attaquait Choshu, Satsuma devrait envoyer des troupes pour leur venir en aide. Un accord parfaitement inégal, mais Satsuma sait que si Choshu tombe, alors ils ne pourront plus s’opposer au Bakufu dont le soutien militaire français devenait de plus en plus visible et inquiétant.
À Choshu, Kogoro Katsura et Takasugi Shinsaku avaient réussi à prendre le contrôle du clan en sous-main, et œuvrent à accélérer sa modernisation, prenant exemple sur le modèle Bonapartien pour l’organisation et l’entraînement des troupes. Le temps des samouraïs et du sabre s’éloigne toujours plus.
Avril 1866, Okubo de Satsuma est convoqué par le Shogunat pour s’assurer de leur soutien militaire dans le cadre de l’expédition contre Choshu, toujours au point mort. Okubo joua d’hypocrisie, faisant croire qu’il avait une otite et qu’il ne comprenait pas les propos de l’envoyé d’Edo. La négociation est donc un échec pour le Bakufu et, suite à ce petit numéro, de nombreux clans refusèrent également de se joindre à l’appel. Mais le Bakufu est têtu, ou ne se rend pas compte de la difficile situation dans laquelle il est. Le 18 juin 1866, un vapeur du Shogunat attaque les côtes de Choshu. L’accord SatCho signé 3 mois plus tôt est activé, et Satsuma envoie des hommes soutenir le clan Mori. Et puisque le Bakufu a le soutien de la France en sous-main, Satsuma se tourne lui aussi vers une puissance étrangère : l’Angleterre.
À gauche, Ernest Satow photographié pour son livre autobiographique en 1903. À droite, sa représentation en jeu.
En 1865, Alcock est remplacé par Harry Parkes. Il a 36 ans, parle mandarin couramment. Les Britanniques sont solidement implantés dans le Pacifique (Chine, Hong-Kong, Singapour, Inde) alors que les Français peinent avec la Cochinchine. Tout ceci donnait une position avantageuse aux Anglais sur le commerce japonais, et Parkes usa de toute son expérience pour réussir à le développer, avec l’aide des autres Puissances Occidentales. Ernest Satow est son conseiller et traducteur, il lui sera d’une très grande aide car Satow arrivera à tisser un réseau d’influence au Japon très important, qui permettra à Parkes d’être régulièrement bien informé. Il cherche aussi à tisser les liens avec les gouvernements régionaux, et les refus catégoriques de Choshu et Tosa ne l’arrêtèrent pas.
Roches et lui sont régulièrement en rivalité. Les Puissances tentent de travailler ensemble à développer le commerce, mais chacune des propositions de l’un est contré par une proposition de l’autre, ce qui frustre énormément Parkes. Qui plus est, en juin 1866, le Bakufu signe avec la France une mission d’entraînement militaire des troupes : Jules Brunet et 14 autres hommes font partie de la Mission Chanoine pour entraîner les soldats du Bakufu. Ceci fit hurler de rage Parkes. Heureusement pour lui, le vent va tourner en sa faveur.
En juillet 1866, Parkes fut invité à Satsuma pour rencontrer Hiramisu et Okubo. Il eut un véritable festin de roi. Puis le lendemain Saigo obtint son entrevue avec Parkes, qui commençait à cerner la situation politique du Japon. Il lui rappela que les Puissances Occidentales ne devaient pas intervenir dans la politique japonaise, puis lui demanda comment ils comptaient travailler ensemble pour renverser le Bakufu. Parkes n’agissait pas en enfant de cœur : il savait que le Bakufu ne tiendrait pas, et voulait déjà depuis un moment commercer avec les régions en conflit avec le gouvernement comme Choshu. La fin du Bakufu serait un revers pour les Français et Roches, et une aubaine pour lui, quand bien même il ne faudra pas trop s’engager. Les liens se tissent.
Légende :
[1] Soldat du Bakufu. Jules Brunet, 1867.
[2] Vue de la baie de Suma dans la province Settsu. Utagawa Yoshimori, 1865.
[3] Photo des membres de la Kaientai. Auteur inconnu, Janvier 1867.
Samouraïs Tokugawa habillés à l'occidentale. Illustrated London News, 1866
Le Bakufu a bien du mal à se sortir de sa propre impasse : ils ne sont pas soutenus par les daimyos contre Choshu, leurs troupes sont mal entraînées et mal équipées malgré l’aide française, et leurs revenus fondent comme neige au soleil, au point de devoir lever de nouvelles taxes et faire des emprunts aux Occidentaux. Même Kondo Isami du Shinsengumi tente de raisonner le Bakufu, voyant nettement que les troupes shogunales ne sont pas de taille face à celles de Choshu. Malgré tout, le Shogunat se décide de lancer l’expédition. Après l’attaque maritime de juin 1866, les troupes envahissent le territoire Choshu par tous les fronts le 18 juillet. Quatre fronts dont un maritime… Presque tous seront des échecs. Les armes fournies par Glover montreront vite leur fiabilité face aux équipements des armées du Bakufu. Fin septembre, toute les attaques ont été repoussées et seul reste un groupe du Shogunat occupé à faire de la guérilla jusqu’à la fin d’année. Cette débâcle militaire est doublée d’une débâcle politique : le Shogun Iemochi décède de maladie le 29 août 1866, à l’âge de 20 ans. Il n’a pas d’enfant, le seul héritier selon les règles de succession est Keiki. 6 ans après la lutte pour la succession qui conduira à l’épuration Ansei, Keiki obtient enfin le pouvoir. Mais cela ne le ravit que peu : le Shogunat et les Tokugawa sont très affaiblis. Néanmoins, il n’était pas vu par Parkes comme « le Japonais le plus intelligent jamais rencontré » pour rien.
À gauche, Jules Brunet en 1868. À droite, sa représentation en jeu.
Le 28 Septembre 1866 le Shogunat annonce officiellement la mort de Tokugawa Iemochi, et désigne Keiki comme le nouveau chef du clan Tokugawa. Keiki refuse dans l’immédiat le poste de Shogun. Il sait le Bakufu dans sa forme actuelle condamné, aussi veut-il tenter de réformer le gouvernement : en formant une assemblée haute choisie par la Cour et les daimyos, la modernisation du Japon prendrait corps et mettrait fin à 675 ans de Bakufu tout en laissant le pouvoir au clan Tokugawa, qui reste le clan le plus riche et dont les daimyos auront le plus de voix pour choisir le gouvernement désiré. Malheureusement, la manœuvre échoua : lors de la convocation des 24 daimyos, seulement 7 d’entre eux furent présents, les autres étant « indisposés » ou « malades »… Les 13 et 14 décembre, les daimyos à Edo élurent Keiki Shogun, qui prend le pouvoir le 10 janvier 1867. Il va alors s’engager une course contre la montre pour Satsuma et Choshu : Ernest Satow explique à Saito que dans la situation diplomatique actuelle, le Shogunat allait très certainement offrir le port de Hyogo aux Français pour les remercier de leur soutien, et alors punir les Anglais qui cherchaient à s’allier avec Satsuma. L’ouverture est prévue pour Janvier 1868. Quoi qu’il se passe, il fallait que cela se fasse avant cette date.
La signature de l’accord SatCho était une victoire que Ryoma payait cher : lorsque le Bakufu apprit qu’il était l’organisateur des négociations, il lança à ses trousses la police pour l’arrêter. Il part en fuite le 9 mars 1866 lorsqu’à son auberge d’affaire habituelle, l'auberge de Terayada, la police débarque pour l’arrêter et, après un affrontement armé, réussit à s’en sortir de justesse. S'il a survécu, c'est parce que sa femme a remarqué la police à l’extérieur depuis la salle de bain, et a alors couru nue jusqu'au deuxième étage pour prévenir son mari et ses amis. Depuis qu’il a monté sa compagnie commerciale à Satsuma, il a repris contact avec sa région natale de Tosa, qu’il avait quitté en 1860 du temps où il était un Sonno Joi. Depuis les grandes démonstrations de puissance des Occidentaux à Shimonoseki et Kagoshima, le mouvement battait de l’aile de toute part, mais malgré tout Ryoma avait accompli un crime en renonçant au clan et en s’enfuyant, il ne pouvait pas revenir.
Chez Tosa, on se relève tout doucement de l’assassinat de Yoshida par l’ancien maître de Ryoma, Takeshi. Le daimyo Yodo a remis en place un nouveau gouvernement qui s’occupe de la modernisation de la région et aussi sa militarisation, avec à sa tête Shojiro Goto qui était membre du gouvernement de Toyo Yoshida, ainsi que son ami. Avec la seconde expédition contre Choshu et la défaite du Bakufu, Yodo voit bien que le gouvernement qu’il avait soutenu n’a plus d’avenir et commence à réfléchir à devenir un soutien de Satsuma et Choshu.
Finalement, début 1867, Goto rencontra Ryoma. Il lui proposa l’absolution de tous ses crimes, et même de racheter sa compagnie maritime qui avait perdu tous ses bateaux à la suite d’attaques du Bakufu, à condition de travailler pour Tosa. Ryoma accepte, et les affaires reprirent. Il aida aussi à rallier les derniers Sonno Joi au clan Tosa dans le but de lutter contre Keiki à court terme. Tout le monde s’arme, les affaires de Glover s’envolent.
Petit saut dans le passé : en janvier 1862 se marièrent le Shogun Tokugawa Iemochi et la Princesse Kazu, dans un objectif de rapprocher la Cour du Shogunat. L’architecte derrière ce mariage était un homme du nom de Iwakura Tomomi, qui sera forcé de démissionner à cause des Sonno Joi qui lui reprochaient d’avoir organisé le mariage. Mais il put avant faire la rencontre d'Okubo des Satsuma, et ils restèrent en contact. Quand en fin 1866 le Shogun est annoncé mort, il rappelle son ami pour fomenter le renversement du Bakufu, et préparer le retour de l’Empereur au pouvoir. À cette période, on retrouva chez lui Takamori Saigo, Toshimichi Okubo, Kogoro Katsura et Sakamoto Ryoma. Les 5 sont considérés comme les pères du Japon moderne. Pendant leurs préparatifs, l’Empereur Komei décède le 3 février 1867. Son fils de 15 ans, Mutsuhito, devient l’Empereur Meiji. Cela facilite les plans d’Iwakura qui a pour allié le prince Iwakura, grand-père maternel du nouvel Empereur. Avec cette aide à la Cour, il prépare les bases de la Restauration Meiji.
Durant le mois de mai, les daimyos furent convoqués par Keiki afin de discuter de l’ouverture du port de Hyogo et le pardon de Choshu. Keiki ne voulait pas pardonner à Choshu car tant qu’ils étaient isolés, il affaiblissait un adversaire. Cependant, Hisamitsu de Satsuma, soutenu par les autres daimyos, refusait de parler de l’ouverture de Hyogo tant que la question Choshu n’était pas tranchée… sachant que l’accord SatCho était toujours en cours, donc Keiki risquait de s’aliéner deux des régions les plus puissantes ! Dans le même temps, Iwakura était à la manœuvre à la Cour : un édit avait été édicté incitant à la clémence envers Choshu, et demandant le report de l’ouverture de Hyogo. Keiki est coincé, mais il refuse toute concession. Il joue la montre, et ça lui réussit : en juillet, la Cour prend peur. Si le port n’ouvre pas à la date prévue, comment vont réagir les Occidentaux ? Vont-ils attaquer et envahir le Japon comme ils l’ont fait avec la Chine ? Si Keiki démissionne, la Cour sera incapable de gérer le problème, et risque de chuter avec lui… Finalement, un nouvel édit autorisera l’ouverture du port de Hyogo et laisse à Keiki le soin de gérer le problème Choshu comme il l’entend. Il a gagné le bras de fer, mais le paie cher : les daimyos se sentent humiliés car on les a convoqués pour demander leur avis sur des questions de politique du pays, et ils n’ont pas été écoutés.
Dans le sillage de cette décision, Satsuma et Choshu se retrouvent pour dessiner les bords d’une alliance militaire dans le but explicite de renverser le Bakufu. Particulièrement remonté contre Keiki, et doublé d’une haine ancestrale pour les Tokugawa, les Choshu acceptent vite : Satsuma se chargera de sécuriser Kyoto et Choshu débarquera dans la région d’Osaka. Fin juillet, Okubo et Saigo retrouvent Goto de Tosa, là aussi pour signer une alliance ayant le but de renverser le Bakufu, et ils arriveront aussi à engager la région Aki dans l’alliance. De son côté, Ernest Satow écrit un pamphlet en anglais et japonais expliquant que les Anglais devraient pousser à la création d’un « conseil des grands daimyos », dirigé par Keiki, sous le règne de l’Empereur. Tout est fait pour saper le Bakufu. Le 12 octobre, les premiers plans de guerre sont mis en place.
Durant l’été 1867, Ryoma continue de parcourir les régions pour son commerce, et à réfléchir avec ses amis de ce que deviendra le Japon après la chute du Bakufu. Pour protéger le pays, il faudra une Marine forte, et les biens des Japonais doivent avoir la même valeur que leurs équivalents Occidentaux. Les lois, les règles, les codes appliqués depuis plus de 250 ans doivent être abolis. De même, désormais le gouvernement ne sera pas un regroupement de chefs de régions soumis à un unique Seigneur, mais deux assemblées législatives de toutes origines qui gouvernent aux ordres de l’Empereur, de manière démocratique. Tout ceci formera la base du gouvernement Meiji. Un régime radicalement différent de l’ancien temps, avec un mélange particulier de démocratie et de monarchie : ni fantoche, ni constitutionnelle… Cette vision d’une Marine forte fera du Japon une Grande Puissance capable de dominer l’Empire Russe lors de la bataille de Port-Arthur en 1906, soit à peine 50 ans après la terreur qu’a ressenti le pays fasse au 4 navires noirs du Commodore Perry.
Le 28 octobre, Goto de Tosa demande aux membres du Shogunat, au nom de son seigneur Yodo, que le Shogun rende le pouvoir à l’Empereur, pendant que l’alliance SatCho se préparait à la guerre en cas de refus. Le daimyo de la province d’Aki fera la même demande. Les ministres du Shogunat s’accrochent à une intervention militaire Française providentielle pour les protéger. Le 3 novembre, Satsuma retrouve Choshu et Aki pour finaliser leur accord. Par l’intermédiaire d’Iwakura et du grand-père de l’Empereur, un édit impérial est publié le 9 novembre 1867 annonçant que, dû à sa mauvaise gestion des problèmes domestiques et internationaux, Keiki a mis en danger le pays. Un second édit censé être secret sera envoyé aux Satsuma leur demandant d’éliminer Keiki, mais le secret ne tiendra même pas la journée. La réaction de Keiki fut immédiate : il reprit la demande de Tosa, s’excusa pour ses erreurs, et annonça qu’il « rendait son administration » sans plus de détail. La Cour accepte sa démission, mais personne ne sait ce qu’il a rendu. Il reste donc au pouvoir tant que les daimyos n’arrivent pas à se décider du changement politique, or la convocation de juin a montré qu’il pouvait tenir tête aux daimyos du pays. Keiki a réussi à habilement désamorcer la situation politique, reste la problématique militaire. À partir de ce moment, les membres de l’alliance SatCho et le Bakufu rassemblent leurs hommes dans la région de Kyoto, près du Palais Impérial. La guerre se prépare, 25 000 soldats sont dans la ville ou à proximité en fin d’année…
Après la démission de Keiki, l’agitation gagne le pays. La traque envers Ryoma s’intensifie : à Kyoto, il travaille sur l’organisation du gouvernement provisoire, et discute sur les solutions pour renflouer les caisses de l’Empereur suite aux faramineuses dépenses des clans et du gouvernement pour la modernisation et la militarisation. Kogoro Katsura prévient Ryoma que le Shinsengumi est à ses trousses, mais Ryoma refuse de partir au moment où tout ce qu’il a planté depuis presque 10 ans commence à sortir de terre.
Le 10 décembre 1867, Ryoma est enrhumé, bien au chaud dans une petite pièce au-dessus d’une échoppe de Kyoto avec un de ses amis fidèle, Nakaoka. Quand on frappa à la porte du magasin, le domestique de Ryoma alla ouvrir, l’homme se présentant comme un contact marchand de Ryoma. Derrière la porte, ce sont trois hommes armés qu’il trouve. Il n’arrive pas à réagir à temps, l’un des hommes se précipite sur lui, les deux autres courent à l’étage pour trouver Ryoma. Les deux compères en pleine discussion n’ont même pas le temps d’attraper leurs armes : Ryoma se fait charcuter et Nakaoka est mortellement blessé et mit 2 jours à mourir. Personne ne connaît les auteurs ou le commanditaire. Les soupçons se portent sur le Shinsengumi comme acteur, mais aucune preuve solide ne sera réunie. Ainsi meurt Sakamoto Ryoma, l’architecte du Japon Meiji.
Légende :
[1] Narasaki Ryo, la femme de Sakamoto Ryoma. Photographe et date inconnus.
[2] L'Empereur Meiji. Uchida Kuichi, 1873.
[3] Taisei Hokan. Murata Tanryo, 1867
Bataille de Toba-Fushimi devant le château de Yodo. Shokosai Kunihiro, 1868.
Le 26 décembre 1867, les Choshu débarquent près d’Osaka. Le même jour, Okubo convainquit le grand-père de l’Empereur que tous les opposants à la fin du Bakufu devaient être mis hors d’état de nuire. Les ministres du Shogun rencontrent l’ambassadeur Parkes à Osaka pour parler de l’ouverture du port de Hyogo à venir, et ce dernier leur explique qu’avec autant d’agitation et de troupes, cela risquait de poser un problème au commerce, ce qui retarda l’ouverture du port. Le 31 décembre, la Cour Impériale demande à Keiki de blanchir Choshu pour apaiser la situation, et souhaitant plus que tout calmer le jeu avec les Occidentaux, il accepte. La cérémonie se tient donc le 2 janvier à Kyoto, pour absoudre les anciens rebelles, y compris Iwakura qui peut alors revenir à son poste à la Cour. Les pièces sont en place.
Le 3 janvier, les troupes Satsuma sont invitées par Iwakura pour convier les daimyos à une cérémonie exceptionnelle. De là, l’Empereur leur lit le Grand Édit : le Bakufu est démantelé, Keiki perd son titre de Shogun. Un Conseil Impérial le remplace, composé de Sénateurs avec des Daimyos et des gouverneurs de la Cour et des Conseillers pour les samouraïs et fonctionnaires de rangs inférieurs dans une structure similaire à celle théorisée par Ryoma. Le Shogunat ne peut que prendre acte, et Keiki regroupe ses troupes à son château familial de Kyoto le 4 janvier, réfléchissant à une stratégie de riposte contre un adversaire particulièrement bien préparé.
Le 5 Janvier, la Cour informe Keiki qu’en plus de son titre de Shogun, il doit rendre une grande partie des terres Tokugawa. Il rétorque que ce sera avec plaisir qu’il se soumettra au désir de la Cour, lorsque tous les autres daimyos feront de même pour assurer les finances impériales et que la situation se sera calmée. Au sein du Bakufu, le chaos règne. Faut-il partir en guerre ? Ou bien se plier aux exigences pour éviter d’être catalogué « ennemi de la Cour » et tout perdre ? Keiki est incapable de se décider. Il est paralysé par la situation. Le 7 janvier, il se replie à Osaka, encore sous son contrôle contrairement à Kyoto. Il sait le Bakufu condamné, mais réfléchit à s’en sortir par la voie haute, en conservant un maximum de pouvoir au sein de cette nouvelle organisation. Pendant que ses alliés rassemblent leurs troupes à Osaka, il rencontre Roches qui souhaitait proposer de l’aide au Bakufu avec lequel il tissait ses liens, mais non seulement Parkes l’apprit et fit en sorte d’être présent à la rencontre, mais Keiki refusait d’accepter toute aide occidentale qui pourrait le rendre redevable à une puissance étrangère. Le 10 janvier, il expliqua donc aux ambassadeurs européens que cette affaire était de la politique intérieure, et que les étrangers n’avaient pas à participer dans un camp ou dans l’autre. Il n’y aura donc aucune intervention extérieure, la manœuvre de Satsuma et Parkes avait abouti.
Pendant ce temps, les membres du Shogunat à Osaka réfléchissaient à « punir Satsuma ». Ce parfum de vengeance, couplé au fait d’être dans le mauvais camp par rapport à la Cour et l’Empereur, fait fuir de nombreux daimyos du giron du Bakufu. L’alliance SatCho gagnait chaque jour de nouveaux partisans.
Le 25 janvier, le port de Hyogo ouvre dans une ambiance très particulière. L’ancien Shogun n’avait pas fait le déplacement, envoyant plutôt ses vœux de Nouvel An du calendrier japonais, et demandant la punition de Satsuma pour le Coup d’État. Les vœux seront interceptés par Satsuma, et ne parvinrent jamais à l’Empereur qui n’aurait probablement pas répondu car sous la coupe des partisans SatCho. Mais cela mis en colère le Bakufu destitué, qui se décida de marcher sur Kyoto avec comme prétexte de rendre visite à l’Empereur, sachant pertinemment qu’ils seraient arrêtés en cours de route… La Guerre du Boshin est une guerre informelle.
Les troupes partent le 27 janvier. 15 000 hommes sont en marche, dont 4 500 qui vont à Yodo, retrouver les forces des alliés. 8 500 hommes, dont le Shinsengumi vont en direction de Kyoto, passant par les voies de Toba et de Fushimi. Les troupes sont mal organisées, très éparpillées. Les forces d’Aizu en font partie, Aizu qui est l’ancien allié de Satsuma contre Choshu lors de l’incident Kinmon en 1864. Les vents ont bien changé.
À Toba, 2 500 hommes du Shogunat sont bloqués par 900 hommes de Satsuma, fortement retranchés. On leur refuse le passage, et Satsuma ouvre le feu sur un adversaire surpris et non préparé. Le commandant, après avoir récupéré ses troupes, ordonne la charge, mais ce sont des lanciers et des épéistes sans soutien d’artillerie, contrairement à Satsuma armés de fusils et de canons. C’est un massacre.
À Fushimi, c’est 3 000 hommes du Shogun dont le Shinsengumi qui font face à 1 400 hommes des Impériaux, près de la petite ville. Dès que les canons résonnent à Toba, les forces de Satsuma font tonner les leurs. Les forces de Keiki sont du côté de la ville, qui se fait incendier pour causer encore plus de désordre au sein des troupes shogunales. Très vite, ces dernières ne peuvent plus tenir face aux troupes bien mieux équipées et entraînées de Satsuma et de Choshu. Les deux groupes se retrouvent au nord de Yodo.
Le 28 janvier, des navires de Satsuma partent de Kagoshima pour débarquer dans la baie d’Awa près d’Osaka. La marine du Shogun les interceptent, et parvient à repousser la flotte. Le même jour, l’Empereur déclare les Tokugawa «Ennemi de la Cour », et un des princes Impériaux prend le commandement des troupes SatCho, renforçant leur légitimité. Okubo avait préparé mi-1867 des drapeaux au symbole de l’Empereur pour rallier les troupes sous l’emblème Impérial le temps de l’unification, afin que la population sache en quel nom ils se battent.
29 janvier, à Tominomori où sont stationnés les troupes shogunales, les combats reprennent. Les troupes SatCho dressent pour la première fois les bannières impériales, ce qui vaudra des discussions chez les forces du Shogun pour comprendre leur signification. À nouveaux défaites, elles se replient vers le château de Yodo qui avait soutenu Keiki mais qui, devant les bannières impériales, change de camp. Les forces shogunales sont forcées de se replier dans les petits villages autour. Le lendemain, une poussée des Impériaux feront définitivement replier les troupes sur Osaka. Un des clans s’est retourné contre eux la veille à la suite d’une négociation avec SatCho. Le moral était au plus bas. Encore plus bas que les réserves de munitions des Impériaux, mais les troupes du Shogun ignorent cette importante donnée...
Le 31 janvier, Keiki et ses hommes embarquent sur une frégate direction Edo, où il espère pouvoir se replier pour réfléchir à la situation. Le 2 février, le château d’Osaka est incendié et la ville pillée par les Impériaux. Ces mouvements militaires près de Hyogo firent des altercations avec les Occidentaux. Arrivé le 6 février à Edo, le Bakufu se réorganise pour qu’à la défaite, le moins de têtes ne subissent le courroux de l’Empereur. Le 20 février, le groupe français de Chanoine propose à Katsu Kaishu de se replier dans le nord, faire alliance avec les clans locaux et commencer à reprendre les terres à partir de là. Kaishu déclinera l’offre, et informera Roche que la mission française doit maintenant s’arrêter. Keiki se met aux arrêts au temple de Kan’ei-ji à Ueno le 4 mars pour faire preuve de bonne foi devant l’Empereur lors des négociations.
Pendant ce temps, les troupes Impériales pacifient tranquillement les différents territoires. À la Cour, on discute du sort de Keiki. Le clan Mori avec sa haine vivace des Tokugawa demande sa mort et la dissolution du clan, mais il sera choisi plutôt de l’exclure dans sa région natale de Mito.
Le 24 mars, Kondo Isami rassemble le Shinsegumi à Edo ainsi que d’autres hommes pour une dernière bataille. Depuis Toba-Fushimi, le Shinsengumi a réalisé la supériorité du fusil sur le sabre pour la guerre, et s’est équipé en conséquence, mais cela ne suffira pas. Le 29 mars à Katsunuma, les forces shogunales affrontent les forces impériales en infériorité de 10 contre 1. Kondo Isami sera décapité à l’issue de la bataille. Le 6 Avril, Saigo se rend à Edo pour négocier la reddition du Shogunat, ce que les forces shogunales acceptent si en échange elles reçoivent des pardons impériaux. Le château d’Edo se rend le 2 Mai.
De derniers samouraïs se regroupent à la colline d’Ueno pour défendre le Shogun destitué, Keiki. Katsu Kaishu tentera de les convaincre de se rendre mais c’était sans espoir. Saigo est réticent d’attaquer ces 2 000 soldats retranchés, souhaitant plus de troupes, mais les multiples raids des résistants le force à attaquer le 4 juillet. Les troupes sont défaites.
Le 24 juin, une grappe de clans loyalistes fuient dans le nord-est du pays grâce à la flotte du Bakufu. Jules Brunet démissionne de la mission Chanoine et part avec eux. Le plan est de s’enfuir sur l'île d'Hokkaido et construire la lutte. Pendant la préparation de la fuite, Aizu est assiégé en octobre 1868 à son propre fief, qui tombe le 6 novembre 1868. Cela a permis de faire gagner du temps aux derniers rebelles en partance sur l’île Nord, et de former la République d’Ezo, seule République de l’histoire du Japon. Hijikata du Shinsengumi est avec eux avec une centaine d’hommes. Durant l’hiver, ils sécurisent l’île du mieux qu’ils purent sous les conseils de Jules Brunet. La Marine Impériale arrive le 20 mars 1869 et défait la flotte shogunale dans la baie de Miyako. Le 10 mai, les restes de la marine du Bakufu sont vaincus, et les survivants sont encerclés. Hijikata fera une dernière résistance avec 230 hommes contre 600 Impériaux, et parviendra à repousser l’avant-garde durant la dernière semaine de mai. Il luttera jusqu’au bout, et décède sur le champ de bataille le 20 juin 1869, et avec lui l’esprit du Shinsengumi. La République d’Ezo se rend aux forces Impériales peu après, le 27 juin. Brunet arrivera à s’enfuir, et retournera à Paris où il sera désavoué pour sa participation à une rébellion, et discrètement récompensé pour son courage et ses efforts à défendre les intérêts de la France.
Pendant ces dernières bribes de résistance, le 23 octobre 1868, le Shogun Keiki remet officiellement ses pouvoirs à l’Empereur. Le Bakufu tombé, l’ère Edo se termine, le pays change de visage. L’Empereur n’est plus un symbole fantoche caché aux yeux du monde, désormais il parcourt le Japon pour le moderniser toujours plus. Il renomme la ville d’Edo en Tokyo et en fait la nouvelle capitale pour symboliser le changement. Okubo, Saigo, Katsura et d’autres s’activeront à réformer en profondeur le pays en s’appuyant sur les idées de Ryoma, jusqu’à remettre en cause le statut des samouraïs, modèle d’un temps passé. Les sabres ont laissé place aux fusils. 15 ans après l’arrivée des Bateaux Noirs, le Japon s’ouvre à l’Ère Meiji. Ainsi, cher lecteur, s’achève le Bakumatsu.
Légende :
[1] Keiki préparant ses défenses à Osaka. Kobayashi Kiyochika, 1870.
[2] Carte de Toba-Fushimi, d'après l'historien Conrad Totman.
[3] Keiki fuyant vers Edo, Osaka en feu. Tsukioka Yoshitoshi, 1877.
[4] Kondo Isami à la bataille de Kshu-Katsunuma. Tsukioka Yoshitoshi, 1880.
[5] La Bataille contre les rebelles d'Ezo à Hakoake, le Kotetsu en premier plan. The Illustrated London News, Mai 1869.
Histoire avec un grand H Rise of the Ronin Team Ninja
Genre
Action
Editeur
Sony Interactive Entertainment
Développeur
Team Ninja
Date de sortie
22/03/2024
PS5
Chronique rédigée par Koanns
Publié le 06/04/2024 à 19:53
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