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Introduction

Passage en revue d'une milice Impériale. Date et auteur inconnus.

Aussi déterminante qu'elle soit pour l'histoire du Japon, la période du Bakumatsu n'est pas celle qui est le plus mise en avant dans les œuvres modernes. La période Edo a bien plus les grâces des artistes, quitte à venir déteindre sur les périodes précédentes. Quand on observe les deux, on comprend vite pourquoi : la période Edo survient juste après l'une des guerres de clans les plus intenses du Japon, le Sengoku Jidai, et qui symbolisera bien vite le firmament de la classe samouraï et de ses valeurs d'honneur. Samouraïs qui poseront le sabre pour prendre la plume, et ouvriront une riche période artistique et littéraire pour leur pays, avec une recherche du beau et de l'harmonie. Tout cela dans un environnement économique et agraire confortable, transformant alors ces guerriers en fonctionnaires de leurs clans et du gouvernement. Bien évidemment cela ne durera pas, et très vite ce début de l'ère Edo deviendra un Âge d'Or auxquels les Japonais de la fin de cette même ère aspireront à retourner plutôt que d'aller de famines en révoltes.

L'influence culturelle qu'a eu cette période est énorme, et la fascination qu'elle engendre est mondiale : la majorité des œuvres qui souhaitent s'inspirer du Japon non-contemporain vont directement piocher dans la période Edo, sinon dans les 700 ans d'histoire de la classe des samouraïs.Upload Cela a commencé avec l'ouverture du Japon et l'importation d'éléments culturels et artistiques comme les estampes du genre ukiyo-e ou la poterie d'Edo, qui verra fleurir le Japonisme en France et façonnera la représentation typique du Japon par les étrangers. Le Japonisme aura d'ailleurs un impact majeur sur la naissance de l'impressionnisme français, guidant les artistes vers une voie alternative à ce que l'on appelle l'Académisme et ses strictes règles sur les sujets de peinture et l'exécution d'un tableau en étudiant les œuvres d'Hokusai, d'Utamaro et d'Hiroshige. De nos jours, un très bel exemple de cette fascination d'Edo est Ghost of Tsushima du studio Sucker Punch, qui sous prétexte de l'invasion mongol de 1274 (sous l'ère Kamakura) vient invoquer toute l'imagerie poétique des samouraïs d'Edo. Et ne leur jetons pas la pierre puisque les Japonais font pareil : le manga Kenshin le Vagabond, dont les évènements se déroulent sur le Bakumatsu et l’Ère Meiji avec un sens du détail remarqué, fait la part belle aux affrontements de sabre pourtant à une époque où très vite les samouraïs se sont portés sur les armes à feu (Sakamoto Ryoma était très attaché à son revolver Smith & Wesson N°2). Plutôt que de dénigrer les œuvres, voyons à travers elles à quel point l'héritage d'Edo domine la vision artistique et culturelle autour de ce pays.

Le Bakumatsu n'est rien de tout cela : c'est une période de profond chaos, où le Japon va être forcé de se réinterroger sur lui-même en tant que nation, et donc dans sa culture. L'honneur des duels au katana est troqué par des assassinats politiques en pleine rue par arme à feu, les façons de faire occidentales vont venir supplanter sans réelles considérations celles japonaises, que ce soit dans la manière de s'habiller, de peindre, d'organiser une armée ou de construire un pont. Les usines remplacent les cerisiers, les politiciens véreux supplantent les samouraïs. C'est une période courte, sombre et très complexe de l'histoire du Japon. C'est aussi une période charnière, qui va créer un nationalisme extrêmement fort. Très vite, le Japon passera de chiot paniqué au loup dans la bergerie asiatique, avec de fortes velléités de conquêtes pour sustenter à ses appétits de croissance. Comprendre le Bakumatsu, c'est comprendre le Japon jusqu'à sa défaite lors de la Seconde Guerre Mondiale où, encore une fois, il a dû se réinterroger en tant qu’État.
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L'écriture de cet article a nécessité beaucoup de lecture. Il serait absurde de dire que Wikipédia n'a jamais été ouvert, puisque c'est la difficulté de comprendre cette période par la simple lecture de ces articles qui a donné naissance à cette chronique. Ça, et l'incapacité habituelle de la Team Ninja à raconter de manière claire et intelligible son histoire et ses personnages à ceux qui ne disposent d'aucune connaissance sur la période traitée. Chose d'autant plus dommage que derrière cette confusion, il y a une vraie maîtrise des sujets et un sens du détail assez remarquable.

Upload Prenons un exemple de Nioh 2, où l'on peut combattre dans un château en flammes face à une femme-chatte à gros seins sur roues avec une armure qui a une énorme crête solaire et un sabre énorme portant l'amusant nom de "lame papillon". Et bien, sachez que Kasha est un yokai, un démon du folklore japonais dont le nom veut dire "chariot de feu", est souvent représenté sous les traits d'un être mi-humain mi-chat qui vole le corps des morts lorsque ceux-ci ont accomplis des actes profondément mauvais. Elle apparaît à la mort d'Oda Nobunaga qui a commis nombre de crimes de son époque (comme le massacre du mont Hiei, tenu par des bouddhistes). L'armure à crête solaire, qui est en fait celle de Toyotomi Hideyoshi, existe vraiment et faisait honneur à son surnom "Béni du Soleil". Quant à la lame, c'est l'Odachi Hotarumaru qui est visible au temple d'Aso et dont la légende veut que la lame ébréchée ait été réparé par des lucioles durant la nuit. Ah, et si le personnage de Toyotomi Hideyoshi (qui est présent dans le jeu) est accompagné par l'esprit du singe, c'est parce que son surnom était "le Singe Serviteur" en référence à sa laideur. Ça fait beaucoup de détails pour un jeu dont le premier principe c'est d'aller taper des démons japonais en faisant des pirouettes avec ses épées (la forte poitrine, par contre, c'est made in Team Ninja).

Cependant, la narration chez Team Ninja peut être tellement décousue pour qui ne connaît pas la période que l'on ne prête difficilement ne serait-ce qu'un regard aux riches détails que les développeurs ont glissés dans leur jeu. C'est de ce désir de pouvoir passer outre l'énorme maladresse des développeurs et de pouvoir pleinement profiter de leur amour pour l’authenticité (toute relative : ils assument créer un jeu vidéo avec toute la fantaisie que cela peut introduire) que, ultimement, cet article existe.

UploadParmi les lectures françaises de référence, il y en a une qui a été particulièrement utile : Bakumatsu, la fin des Shoguns de Frédéric Laroche. L’œuvre retrace des bases de la société japonaise en 1853 jusqu'à la rébellion de Satsuma en 1878. Son site dédié permet de consulter en couleur les annexes et les figures, la sitographie de l'auteur et aussi des liens pour se procurer l'ouvrage. Pour retracer l’œuvre et les méthodes du Shinsengumi, c'est Shinsengumi : le Corps d’Élite du Shogun de Julien Revol qui a servi de base. Pour ceux qui souhaitent aller plus loin, Frédéric Laroche a un ouvrage La rébellion de Satsuma, dédié à cette courte épopée qui signera la fin définitive des samouraïs. De même, pour qui souhaiterait approfondir l'histoire de la mission française Chanoine au Japon, Emmanuel Faubry a écrit un ouvrage dédié L'engagement des officiers français dans la fin du shogunat et la restauration de Meiji. Aussi, de toutes ces lectures s'ajoute les multiples pages Wikipédia françaises, mais surtout anglaises et même parfois japonaises (et, pour le Kotetsu, espagnole). L'ensemble est structuré de manière chronologique. L'objectif du présent article n'est certainement pas de faire une thèse sur la période, aussi les biographies ont été réduites au plus simple pour comprendre la position des acteurs de cette période et se concentrer sur les actes significatifs.

Et maintenant, plongeons ! Plongeons dans ce chaos politique, cette xénophobie profonde qui anime le Japon ! Plongeons dans cette terreur qui secoue ces hommes, réalisant le fossé technologique qui s'est creusé entre eux et l'Occident ! Plongeons dans ces machinations qui vont transformer le Japon pour le siècle à venir, et qui frappera le monde d'effroi en mettant à genou l'impériale flotte russe. Plongeons dans ce peuple qui, craignant de perdre son identité à cause d'une invasion occidentale, s'occidentalisera plus vite que tout autre et ira envahir l'Asie. Plongeons dans ce dernier râle shogunal, d'un gouvernement en fin de vie qui aurait peut-être pu se sauver, s'il avait su placer le bon homme plus tôt.

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Note n°1 - À la fin de chaque page se trouve la légende des figures de ladite page, excluant celles qui en ont déjà.

Note n°2 - La création de l'article étant liée à l'existence du jeu vidéo Rise of the Ronin, les personnages qui ont été mis en avant par la communication et sur le site internet sont donc soulignés.

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Légende :
[1] La japonaise. Claude Monet, 1876.
[2] Bataille de Port-Arthur depuis un navire japonais. Publié par Kimura Toyokichi, XXème siècle.
[3] Cinématique d'introduction du yokaï Kasha. Capture de l'auteur.
[4] Première de couverture de "Bakumatsu : la fin des Shoguns". Frédéric Laroche, Juin 2018.
[5] Un bal au Rokumeikan de Tokyo. Toyohara Chikanobu, 1888.

Histoire avec un grand H Rise of the Ronin Team Ninja

Chronique rédigée par Koanns
Publié le 06/04/2024 à 19:53

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