Yakuza ou plutôt "Like a Dragon" comme on dit aujourd’hui. Une série chère à mon cœur à bien des égards (vous connaissez mon lien particulier avec le Japon), et qui a mis du temps avant de connaître une explosion de popularité bien méritée en Occident avec le septième épisode de la série, Like a Dragon. Celui-ci détient d’ailleurs le record de ventes de la saga avec près de 2 millions d’unités vendues dans le monde (dont “seulement" 500 000 au Japon, ce qui montre bien l’ouverture de la série à un plus large public). Evidemment, le huitième opus, Like a Dragon : Infinite Wealth, qui a débarqué le 26 janvier 2024, était très attendu. L’occasion de faire une rapide rétrospective de cette série qui fête ses presque 20 ans, qui a traversé quatre générations de consoles et qui compte 21 jeux au total.
Connaissez-vous un studio de jeu vidéo qui porte le même nom que sa licence phare? Cela n’est pas courant. C’est pourtant le cas du studio à l’origine de Yakuza, “Ryu Ga Gotoku”. Car Yakuza n’est pas vraiment Yakuza. Au Japon, la saga se nomme « Ryu Ga Gotoku » littéralement « Like a Dragon », et ce, depuis toujours. Ryu Ga Gotoku Studio puise ses origines dans deux anciens studios Sega : SmileBit et Amusment Vision, à qui l’on doit des titres mythiques comme Jet Set Radio, F-Zero GX, ou encore Sega Rally. Ces deux studios seront fusionnés en 2005 pour donner naissance à New Entertainment.
Mais revenons à la fin des années 90. Yakuza, c’est aussi un homme en particulier, devenu incontournable dans le paysage vidéo-ludique : Toshihiro Nagoshi. Le game designer aux allures de rockstar entre chez SEGA au début des années 90. Tout juste sorti d’école, il se destinait à l’origine au cinéma (tout comme un certain Hideo Kojima).
Prenant rapidement du galon au sein de la marque, il finit par intégrer le studio AM2 chapeauté par un certain…Yu Suzuki. Ce même Yu Suzuki à qui l’on doit des titres mythiques comme Virtua Fighter, Space Harrier, mais surtout …. Shenmue. Et lorsque le premier Shenmue entre en phase de développement, Nagoshi en profite pour demander à SEGA son propre studio. L’élève veut désormais devenir maître. Au même moment, la génération PlayStation 2/Gamecube marque l’arrivée en force des développeurs occidentaux, symbolisée par l’arrivée de Microsoft et sa Xbox sur le marché. Devant la forte demande du public en jeux occidentaux, Nagoshi a la réaction inverse : créer un jeu « par les Japonais, pour les Japonais » (selon ses propres dires). Un pari aux allures de véritable coup de poker, le projet ne séduisant pas les pontes de SEGA. Ce n’est qu’après de longues négociations que Nagoshi pouvait enfin lancer son Yakuza en 2005. Le début d’une longue histoire.
Quelques années après un Grand Theft Auto 3 qui a marqué les esprits avec le passage de la série à la 3D, Yakuza premier du nom sortait, accompagné de beaucoup d’attente au pays du soleil levant, et dans un anonymat quasi complet dans un marché occidental n’ayant d’yeux que pour GTA San Andreas. Les grands débuts de la série sont l’occasion de nous introduire son personnage principal, celui que l’on ne quittera pas jusqu’à sa mort (ou pas) : Kazuma Kiryu. Yakuza à l’enfance difficile, mais au cœur gros comme ça, celui-ci se fixe comme mission de protéger une jeune orpheline du clan Tojo.
Yakuza, c’est aussi l’introduction du fameux quartier de Kamurochô, fortement inspiré du véritable quartier de Kabukicho à Tokyo, lieu de vice et de débauche s’il en est. Un quartier que l’on ne quittera que très rarement dans la suite de la série. L’inspiration Shenmue se fait clairement sentir. À commencer par le système de combat, beat'them all dans lequel on retrouve un feeling très proche de Virtua Fighter. Mais aussi dans les nombreuses activités annexes que le jeu propose, et qui deviendront une véritable marque de fabrique. Comme son aîné, Yakuza a ce côté “simulation de vie au Japon”, mais y ajoute le milieu de la pègre. Ce premier épisode eut un beau succès au Japon, avec plus de 800 000 ventes. De quoi assurer la rentabilité du studio, qui a investi 21 millions de dollars dans le développement du titre.
C’est donc tout logiquement que la suite débarque très rapidement en 2006. Une suite dans la droite lignée de son prédécesseur. Même moteur graphique, même gameplay et level design qui ne change pas d’un iota. Cet épisode ressemblait davantage à une grosse extension qu’à un jeu à part entière. L’intrigue se veut cependant plus familiale, et c’est l’occasion de découvrir le quartier de Sotenbori, fortement inspiré du véritable quartier de Dotonbori, à Osaka. Cet opus permet à la série de s’ancrer dans le paysage vidéoludique, ce qui permet au studio d’envisager un avenir à long terme.
Yakuza 3, c’est l’exotisme : on quitte enfin le quartier de Kamurocho et la ville, destination Okinawa, ses cocotiers et ses plages de sable fin. C’est aussi l’occasion de découvrir tout un pan de l’enfance de Kiryu, avec l’orphelinat dont il devient le gérant. Mais alors qu’il pense passer une retraite tranquille à l’ombre des cocotiers, le dragon de Dojima est vite rattrapé par son passé et doit retourner à Kamurochô.
Yakuza 3, c’est surtout le changement de génération de console, qui passe de la PlayStation 2 à la PlayStation 3, mais à l’arrivée, une douche froide. Le gouffre technique est loin d’être aussi grand qu’attendu. C’est aussi l’épisode où la saga commence à stagner du côté du game design : animations vieillottes et murs invisibles sont toujours de la partie, alors qu’on aurait pu attendre une réelle évolution de ce côté-là, nouvel hardware oblige. Cet épisode a été localisé bien plus rapidement que les autres sur le continent européen, mais au prix de coupes très importantes dans son contenu : de nombreuses activités annexes comme la gestion du club d’hôtesses ou le mahjong ont été purement retirées. Heureusement, on les retrouve dans le remaster sorti sur Playstation 4.
Yakuza 4 est une petite révolution dans la série, car l’histoire ne tourne pas uniquement autour de Kiryu mais de quatre personnages, jouant chacun un rôle prépondérant. On commence d’ailleurs le jeu en incarnant Shun Akiyama, ancien SDF, désormais à la tête de sa propre entreprise, Sky Finance. Mais comme son nom ne l’indique pas, il n’aime pas spécialement l’argent. Un personnage qui fait clairement écho à Kiryu dans son caractère. Taiga Saejima, repris de justice, et Masayoshi Tanimura, policier, viennent compléter le casting.
Ce quatrième épisode fait la part belle à la narration, et se concentre uniquement sur le quartier de Kamurocho. Heureusement, les quêtes annexes sont là pour amener un peu de folie dans un contexte assez sombre (sans doute l’épisode le plus noir de la série). Un opus plus réussi que le précédent à mon goût, de par son concept d’histoire croisée entre les protagonistes qui fonctionne très bien, et nous donne envie d’en savoir plus. Cependant, le gouffre technique avec les productions occidentales se fait encore ressentir, et on sent qu’il est temps de changer de moteur graphique.
Attention, gros coup de cœur. City Pop, bulle économique et argent qui coule à flot, voilà qui résume le Tokyo des années 80. Une époque que choisit le studio Ryu Ga Gotoku pour nous livrer un spin-off mémorable, centré sur les origines de Kiryu. Mais c’est aussi l’occasion d’en découvrir plus sur un autre personnage aussi fou qu’emblématique : Goro Majima. Un véritable shoot de nostalgie pour qui a connu le Japon de cette époque, ou même simplement visionné des films ou séries prenant place à cette ère. Mention spéciale pour le mini-jeu de gestion du bar à hôtesses de Majima, véritable gouffre temporel si on décide de s’y investir. Loin d’être un simple spin-off, cet épisode est également une très bonne porte d’entrée pour les nouveaux joueurs. Seul bémol: pas de traduction française, à moins d’y jouer sur PC avec un mod.
Chasser des ours dans les montagnes enneigées d’Hokkaido, ça vous dit ? C’est ce que propose Yakuza 5, entre autres. Cet épisode, c’est la foire aux quêtes annexes plus invraisemblables les unes que les autres. Poker, gestion de restaurant de ramens, golf, pêche, tout y passe. Une tonne de contenu, jusqu’à l’écœurement. La narration s’en trouve malheureusement assez hachée, la quête principale étant sans cesse stoppée par des sous-quêtes à tous les coins de rue. Le scénario en prend un coup, passant presque au second plan. Heureusement, le jeu nous fait voyager, car on découvre Fukuoka et Sapporo.
Un grand foutoir, avec parfois quelques bonnes idées, mais trop diluées: voilà comment je définirais ce Yakuza 5. Et j’avoue qu’en voyant les trailers de l’épisode 8, qui semble bourré de contenu annexe jusqu’à la moelle, cette crainte m’avait également envahi.
Tout yakuza a une fin. Après le grand n’importe quoi de Yakuza 5, on passe à une ambiance beaucoup plus posée, presque crépusculaire, pour permettre à notre ami Kiryu de tirer sa révérence. Un scénario très intimiste et touchant, centré sur la famille de Kiryu.
Certes, il y a toujours une cascade d’activités annexes, mais celle-ci s'intègrent beaucoup mieux dans la trame principale. Yakuza 6, c’est aussi le passage à un nouveau moteur, le Dragon Engine (qui sera réutilisé pour Like a Dragon et Like a Dragon Infinite Wealth), et cela se ressent. Tokyo et Hiroshima n’ont jamais été aussi belles, et même photoréalistes. La série fait encore un pas vers le septième art avec l’intégration de mister Takeshi Kitano au casting. Un bel hommage aux films de yakuza japonais, et sans contexte l’épisode le plus abouti de la série.
Yakuza au tour par tour, vous y croyez ? Eh bien moi non plus, en voyant le premier trailer de gameplay de Like a Dragon (le nouveau nom de la série en Occident) lors du Tokyo Game Show 2019. C’est pourtant l’orientation qu’a décidé de prendre le studio pour cet épisode, placé sous le signe du renouveau. Ce qui partait comme une blague de la part de l’équipe de développeurs, sorte d’hommage aux J-RPG et Dragon Quest, a été intégré dans le jeu final. Mais le renouvellement de la licence ne s’arrête pas là. Like a Dragon introduit le nouveau protagoniste principal de la saga, Ichiban Kasuga. Sa personnalité excentrique, tout en étant un voyou au grand cœur, en font un personnage particulièrement attachant. Presque de quoi faire oublier l'inénarrable Dragon de Dojima.
Les personnages secondaires ne sont pas en reste. Une galerie haute en couleur, allant de l’ancien flic ripou au SDF, en passant par l’hôtesse de bar. Avec la nouvelle orientation RPG du titre, les développeurs poussent le côté délirant encore plus loin. Les jobs des personnages sont tout aussi hilarants que leurs attaques spéciales (qui n’a jamais rêvé de jeter du pain pour attirer une horde de pigeons attaquant l’ennemi dans Dragon Quest ?). Côté scénario, on sent que la série souhaite s’éloigner de l’univers des yakuzas, pour aller vers un récit plus intimiste, centré sur l’histoire personnelle d’Ichiban. La mafia étant en perte de vitesse depuis quelques années au Japon, la série cherche à s’adapter, proposant même quelques réflexions sociales et sociétales assez intéressantes sur le pays. La réinsertion sociale ou encore la place des femmes dans la société sont ainsi des thèmes centraux du jeu. Une très bonne porte d’entrée pour les nouveaux venus dans la licence.
À en croire les trailers, Like a Dragon : Infinite Wealth devrait s’inscrire dans la droite lignée de son prédécesseur. Ichiban Kasuga est à nouveau au centre du récit, même si l’ami Kiryu fait son (peut-être dernier) grand retour. La série semble assumer encore davantage son côté “WTF” avec cet opus, en témoigne les activités annexes à foison. Le fait que l’histoire se déroule à Hawaï confirme également la volonté des développeurs de prendre petit à petit leurs distances avec Kamurochô et les yakuzas, même si ces derniers ne restent jamais loin. Retrouvez notre test complet de Like a Dragon : Infinite Wealth ici.
Dernière modification le 06/02/2024 à 09:44.
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