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Rise of the Ronin

S'ouvrir au monde

Après avoir surpris un peu tout le monde avec son annonce en 2022, le dernier bébé de la Team Ninja est là, à peine un an après Wo Long : Fallen Dynasty et sa Chine Antique. Projet en chantier depuis 2015 chez Team Ninja, c’est avec le soutien de la branche Japan XDEV de Sony et le sillage laissé par Ghost of Tsushima de Sucker Punch en 2020 (et porté depuis sur PC) que Koei Tecmo sort son premier monde ouvert (on jettera un voile pudique sur l’infect Dynasty Warriors 9). Qui plus est, dans un contexte historique fort puisque se déroulant durant la période du Bakumatsu japonais, une période sombre et complexe. Un véritable challenge pour un développeur de jeux d’Action-RPG où l’on enchaîne de courts niveaux, et où la narration n’est qu’une toile de fond, souvent des plus confuses. Alors, pari tenu ?

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La période du Bakumatsu est peu connue en Occident, mais se révèle être très complexe et riche en évènements. Une telle complexité est souvent un véritable casse-tête à adapter, quel que soit le support, et surtout quand on cible un marché qui n'y connait rien. Par conséquent, un dossier a été rédigé sur les raisons, les luttes et les transformations qui ont secoué le Japon pendant ces 10 années de changement de régime dont Rise of the Ronin se fait le narrateur. Un dossier à découvrir à cette adresse.

Open world : la voie de l'Occident

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Il s'agit de la grande promesse de Rise of the Ronin : faire comme les grands studios occidentaux, et proposer un immense terrain de jeu au joueur. Soyons clair : très vite quand on prend le jeu en main, on sent que les développeurs de Team Ninja ont joué à Ghost of Tsushima, et devant le succès du jeu, se sont dits “ça aurait dû être nous; ça pourrait être nous”. Ce dernier a servi de canevas au développement du jeu dans nombre de ses aspects et sert donc de point de référence tout au long de ce test. Ainsi, on se retrouve avec un monde ouvert rempli de manière très traditionnelle : des camps de bandits à éliminer, des collectibles à récupérer, des sanctuaires où prier… On a le sentiment d’un saut dans le passé, non en 1860 mais en 2010, avec les premiers Assassin’s Creed d'Ubisoft qui nous demandaient de récupérer des plumes et d’éliminer des cibles dans les zones rouges. Un game design qui marche, bien qu’éculé.

UploadPassé la petite introduction, on se retrouve dans la région de Yokohama que l’on parcourera à cheval, puis avec l’Avicula, une aile volante qui nous permet de planer dans les cieux. Contrairement à son modèle de chez Sucker Punch, Rise of the Ronin propose des lieux urbains assez étendus, afin de rompre avec les plaines et collines japonaises. Yokohama, Edo et Kyoto sont les trois villes visitables du jeu avec leurs alentours, séparées sur 3 cartes distinctes. Cela permet de varier les environnements, bien que l’on reste toujours dans les tons verts froid et bleu-gris, couleurs des plaines et des tôles. Encore un héritage de l’ère PlayStation 3. Une bonne nouvelle pour ces lieux urbains est la présence d’un système de parkour qui permet de monter aux rebords des toits, pour ensuite s’y balader et dominer la ville. Les règles de grimpette sont en sus assez généreuses sur les hauteurs, et la quasi totalité des éléments disposent d'accroches, ce qui rend d’autant plus frustrant les quelques éléments non escamotables à cause d’un mur invisible. Au moins, il n’y a pas besoin de barbouiller le monde de peinture jaune pour dire au joueur où est-ce qu’il a le droit de passer, un presque-évènement dans un jeu édité par Sony. À tous ces outils, il faut rajouter le plus important : le grappin. Non, ce n’est pas comme le grappin de Ghost of Tsushima qui permet de se balancer à un arbre de temps en temps, mais plutôt comme le grappin d’un Sekiro : Shadows Die Twice de From Software qui nous permet de s'agripper à un point de prise et d’y grimper instantanément. Il peut aussi faire des balancements, mais c'est plus rare. Et il est utilisable en vol pour se propulser vers des cerfs-volants afin de gagner vitesse, hauteur et endurance de vol. Qui plus est, on peut appeler le cheval en plein vol pour tomber directement sur sa croupe et continuer notre chemin avec un autre moyen de locomotion. L’imbrication de ces éléments font que Rise of the Ronin est un jeu très agréable à parcourir de par la fluidité de l’ensemble. Ce qui aurait pu être gadget fonctionne très bien, et les missions de donjons exploitent ces ensembles de mécaniques bien que travail effectué sur le level design soit rarement marquant : quelques entrées différentes au mieux, une progression narrative au sein du donjon très faible, le chemin est plus que balisé, sans réel opportunité de venir casser le niveau grâce à ces outils… Team Ninja a encore des efforts à faire sur ce point pour vraiment briller.

la vision d'un pays usé par une technique datée.

UploadL’autre point où la Team Ninja doit continuer de faire des efforts, c’est sur le rendu du jeu. À nouveau, soyons honnête : quand on voit aujourd’hui ce que sont capables de proposer des Horizon : Forbbiden West sur PS5 par Guerilla Games, ou même leur modèle Ghost of Tsushima sur PlayStation 4, on a l’impression d’avoir affaire à un jeu cross-gen PS3-PS4. Globalement, le travail sur les textures, le niveau de détails, les animations des personnages ou de leurs visages hors cinématique… Tout ceci est encore à la traîne par rapport à ce qu’on peut voir de manière générale en Occident ou chez les quelques gros éditeurs japonais (Capcom, Square Enix…). Ceux qui ont joué à Nioh ou à Wo Long] verront une nette amélioration technique du jeu, avec des modèles plus soignés, un monde immense sans comparaison à ce que faisait le studio avant, et des effets météos plutôt réussis avec le vent qui souffle dans ces longues herbes, la pluie et les éclairs qui frappent discrètement depuis le ciel, le cycle jour/nuit s’étale devant nous… des classiques d’un monde ouvert que Final Fantasy VII : Rebirth ne citait pas 1 mois plus tôt. C’est donc très agréable pour les amateurs du studio de voir autant d’efforts déployés pour rendre le monde vivant et dynamique sur le plan visuel. Gros bémol cependant : les rues aussi vides que Cyberpunk 2077 sur PS4. Il est dur de se dire que l’on se balade à Edo/Tokyo quand l’on croise une personne tous les 50 mètres, comme en période Covid... bien que parfois, il s'agit d’un avatar de joueur, et il est alors amusant de les regarder en détails pour voir ce que les autres ont fait du très bon outil de création de personnages.

UploadUn aspect sur lequel se démarque discrètement le jeu est sa direction artistique, et notamment son traitement du Japon : Contrairement à Ghost of Tsushima aux couleurs éclatantes de cartes postales ou même un Sekiro : Shadows Die Twice qui montre un monde se dirigeant vers son crépuscule par sa Dark Fantasy, Rise of the Ronin est presque sombre, "entre chiens et loups" : les bâtiments sont vieux, sales, et abîmés. Les peintures manquent généralement d’éclat, sauf sur quelques bâtiments religieux. Les tons tirant vers le gris pâle donnent une ambiance finalement très triste aux villes. Quand on examine les lieux, on sent une ère usée, qui est arrivée en bout de cycle. La pauvreté et la maladie frappent les habitants… On est finalement bien loin de la terre de fantasme que peut incarner le Japon dans d’autres œuvres. On est bien plus dans un courant réaliste, se couplant très bien avec l’histoire et la période traitée par le jeu.

L'Histoire dans l'histoire

UploadOn ne va pas refaire une explication de la période du Bakumatsu durant laquelle le jeu se passe, synthétisons juste en préambule qu’il s’agit d’une période révolutionnaire assez sanglante suite à l’arrivée des Occidentaux au Japon, et qui se conclura par la fin du gouvernement de la famille Tokugawa. Durant toute l’aventure, notre protagoniste personnalisable rencontrera les grandes figures de cette période, à commencer par Sakamoto Ryoma. On y accomplit différentes missions qui permettent de retracer l’ensemble des évènements, de manière plus ou moins fidèle. Il y a en effet une réécriture, des événements et des personnages, pour adapter le récit historique en jeu. Dans l’ensemble, cette réécriture est très correcte : certes, la bande de Katsura, Ryoma et Genzui n’ont pas participé à Sakuradamon, mais pour faire revivre cet évènement par notre protagoniste, il vaut mieux garder des visages connus pour les rendre plus mémorables, et cette action reste compatible avec leurs motivations. De même que Ryoma qui a récupéré l’archétype du buddy, ce bon ami qui nous accompagnera partout, plutôt que de rester en marge pendant toutes les premières années. Ou bien Jules Brunet qui sert à symboliser l’arrivée des Français dès les années 1850 alors qu’il n'arrive qu’en 1867. Mais il n’y a pas là à crisser des dents : on est très très loin des libertés prises par des films comme Le Dernier Samouraï ou Troie, Et un très bon cran au-dessus des Assassin’s Creed en termes de traitement et de sens du détail dans l'écriture. Non content de parler des grands acteurs et de la dissensions au sein de la caste des samouraïs, tout un arc narratif est consacré à la question du choléra et des maladies qui ravagent le Japon, tandis que les quêtes secondaires viennent aborder des évènements comme la mort de Richardson, l’Exil de Saigo Takamori, l’Exposition Universelle de Paris 1867 (qui propulsera le japonisme en Europe et en France)... Le travail d’adaptation est véritablement à saluer. Mention spéciale sur la Belle Démoniaque, intégrée au récit, ainsi que la présence continue et multiple de personnages historiques japonais comme Jigoro Kano, fondateur du judo moderne. Les âges et périodes ne sont pas toujours respectés pour ces personnages en toile de fond, mais les efforts déployés pour cette plongée dans l’histoire japonaise imposent régulièrement le respect. Même la prostituée qui nous demande de récupérer ses 100 chats à travers tout le jeu, Usugumo Dayu, a réellement existé au XVIIIe et était célèbre pour… son amour des chats.

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Il est bien triste que tout ces efforts d’adaptation et de recherche ne soient pas mis en valeur comme il se doit par l’écriture et la mise en scène générale. Bien qu’il y ait de véritables efforts pour que l’histoire ne soit pas proche de l'infâme à contempler et compréhensible pour un néophyte de l’histoire japonaise, elle reste assez plate et toujours assez difficile à suivre pour qui ne connaît pas bien la période. De plus, en parallèle de tout cela se déroule une autre histoire : celle de notre Lame Secrète. Binôme d’enfance personnalisable, il disparait d'entrée de jeu et la motivation de notre personnage est de le retrouver. Cependant, passer 10 minutes avec une personne ne suffit pas pour motiver pendant 30 à 50 heures de jeu, donc cette double histoire peine constamment à décoller. Ne parlons pas non plus de la promesse de changer le cours de l’histoire qui est aussi sérieuse que celle de choisir son camp dans Sleeping Dogs : un énorme vent. Tout au plus certaines séquences changeront de côté selon si vous vous ralliez aux anti-shogunats ou non, et quelques cinématiques diffèreront selon vos choix; la conséquence sera, elle, toujours la même.

Une synthèse de Nioh

UploadVoilà un aspect sur lequel Team Ninja fait rarement du mauvais travail ! Depuis sa formation en 1995, leurs jeux sont très appréciés sur cet aspect, et c’est encore le cas pour Rise of the Ronin. Entre les animations bien dynamiques et rythmées, un système de combat assez vif et des combos qui s’enchaînent bien, cela fait un jeu dans lequel il est agréable de se bastonner et on retombe vite dans ses chaussons habituels de Nioh. Un peu trop vite même : le système est ici aussi structuré autour de Postures à choisir avec R1+Stick, entre 3 disponibles. À la fin d’une série de coups, on peut faire un Chiburui avec R1 pour remplir la jauge de Ki qui s’est vidée en frappant, quand on vide la jauge de Ki de l’adversaire on peut exécuter une attaque critique à haut dégâts, changer d’arme avec R1+D-Pad ou de posture dans un combo nous fait faire une attaque de zone… On est au-delà du familier : c’est une grosse repompée des systèmes de Nioh. Même Strangers of Paradise et Wo Long faisaient plus d’efforts. Heureusement, ce n’est pas QUE un copier-coller de Nioh, c’en est aussi une version plus allégée et accessible : on frappe avec Carré, et selon que ce soit un appui neutre, long ou en avançant, on effectue une attaque Normale, Chargée et Avançante (oui, ça rappelle Strangers of Paradise). Triangle sert à exécuter une attaque spéciale de parade qui, utilisée au bon moment, arrêtera le coup de l'adversaire et lui retire du Ki tout en vous en redonnant. En appuyant sur R1+Boutons, on effectue une compétence d’art martiaux (ici, on pique à Wo Long), et tout ça avec 8 types d’armes différents allant du traditionnel katana à la baïonnette en passant par la claymore écossaise.

Si les premières heures semblent dévoiler un système de combat assez pauvre et limité, dès lors qu’on débloque l’ensemble des mécaniques et qu’on essaye de jouer avec, Rise of the Ronin se révèle très plaisant, et essayer de créer les combos les plus longs face à notre adversaire devient vite un jeu dans le jeu, où l’on triture les différentes compétences, changements d’armes et de postures pour arracher un maximum de vie avec cette contrainte de jauge de Ki. Les attaques imblocables viennent ajouter du piment aux affrontements, et l’ensemble fait qu'on s'y amuse bien malgré la pauvreté de renouvellement des camps,. Les différents boss fights sont eux-aussi très agréables, parfois assez farfelus (l’homme avec des bottes d’Iron Man au Japon du XIXème, ça surprend mais c'est amusant), et il est très souvent possible d’apprendre leur style de combat qui rejoindra nos postures. Cela donne un nombre de choix assez élevé sur la fin du jeu, surtout pour les katanas et odachis. Cerise sur le gâteau : la plupart des styles de combat sont inspirés d’écoles historiques, renforçant encore et toujours cet aspect au jeu. Dernier ajout d’importance : la plupart des missions se font avec un ou deux partenaires IAs, contrôlables d’une combinaison L1+D-Pad et permettant de s’échapper aux assauts sévères d’un boss pour repasser à l’offensive, bénéficier d’un style de combat parfois unique ou même d’une “dernière vie” car ce n'est que lorsque tous les personnages jouables sont tombés que le Game Over s’affiche.

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On ne retiendra que deux bémols majeurs aux combats : un codage de la parade basé sur les hitboxes qui marche très mal face aux attaques de type dash, et avec un timing pas très régulier entre l’annonce par le flash et le lancement, ainsi que des combats en 2v1 parfois absolument infectes à cause d'une arythmie presque totale dans les patterns des boss, illisibles et imprévisibles, qui donne envie d’éclater la manette au sol plutôt que de continuer. Également dans la seconde partie du jeu une surutilisation des mêmes boss, ce qui transforme la chose en sketch plus qu’autre chose. Upload Tout mis bout à bout, ce système de combat est une version allégée et plus souple que Nioh, moins profonde et plus flexible. Et s’il ne bénéficie pas du soin d’animation de Ghost of Tsushima qui était digne de l'héritage d'Assassin’s Creed III, il évite l'écueil “Pierre-Papier-Ciseau” du système de posture qu’avait le jeu de Sucker Punch en infligeant des bonus/malus assez légers plutôt que d’empêcher de passer à travers la garde et de réduire massivement les dégâts si l’on n'est pas équipé de LA posture qu’il faut. Pour une fois, l’élève s’est montré plus sage que le maître. Dommage qu'il n'ait pas été aussi sage sur sa gestion du loot héritée de Nioh, car on récolte durant tout le jeu une quantité phénoménale d'équipement, si bien qu'on gère tout ça à coup de filtres, de manière industrielle. C'est un aspect critiqué depuis 2017 sur lequel Team Ninja fait des efforts, mais au final chercher à limiter cet aspect ne ferait-il pas que le rendre de plus en plus absurde ? Car plus les années passent, plus cet élément de game design fait soupirer, et on a le sentiment qu'il ne fait qu'empirer. Le couper complètement, ou pleinement l'assumer, c'est le choix que devrait faire la Team Ninja sur la question de son loot, plutôt que les compromis sans saveur.

Verdict : 6/10

Rise of the Ronin est loin d’être un jeu parfait. Qui plus est, il s’engage sur la voie hyper concurrentielle de l’open world à l’occidentale où, malgré tous ses efforts, la Team Ninja ne rivalise ni par la technique, ni par le game design, ni par la narration. Pourtant, ce n’est pas juste le système de combat qui lui donne du cœur, mais tout ce dévouement à la période du Bakumatsu. C’est ces multitudes de références à l’histoire du Japon. C’est ce dévouement à plonger le personnage au cœur des évènements plus ou moins importants, à dépeindre une toile narrative la plus large et complète de ces quelques dix années. Il y a tellement de références que l’on en est vite perdu, cela ressemble à un jeu de Japonais nerd d’Histoire fait pour des Japonais nerds d’Histoire. Car devant certaines références, probablement que même le quidam Japonais doit s’interroger sur qui est vrai et qui est inventé. Il est difficile de recommander ce jeu à n’importe qui, mais pour ceux qui sauront apprécier sa jouabilité et son amour du Japon, c’est un titre qui saura offrir de bons souvenirs.

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Rise of the Ronin Team Ninja

Critique rédigée par Koanns
Publié le 24/06/2024 à 19:19

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